Culture

des livres.

C’est l’histoire d’une fille qui était, il y a longtemps, bien longtemps, une grosse lectrice. Un rat de bibliothèque, comme on dit (justement) dans les livres. Une petite fille blonde qui passait le plus clair de son temps libre à bouquiner. Dans son lit, le soir tard, à la lampe de poche sous la couette; aux toilettes (meilleur endroit du monde pour ne pas être dérangée), en vacances, en voiture, et même aux anniversaires des copains où elle était invitée – on la retrouvait, parfois, dans une chambre, une BD entre les mains pendant que les autres enfants s’amusaient dehors.

Chaque semaine, cette petite fille allait à la bibliothèque de son village. Chaque semaine, elle empruntait plus d’une dizaine de livres (le maximum autorisé), des romans, des BDs, des histoires pour s’évader, loin. Petit à petit, alors qu’elle avait fait le tour du rayon jeunesse, elle s’est aventurée chez les adultes. A onze douze ans, elle découvrait Barjavel, et la vengeance fascinante du Comte de Monte-Christo. Puis à treize et quatorze ans ce furent Stephen King et Werber qui l’empêchèrent de dormir des heures durant, les yeux plongés dans ces lignes captivantes. Elle se souvient très bien des étés passés sur la plage de Tizzano, à savourer les pages de Russel Banks ou Paul Auster empruntées à sa mère – sans vraiment toujours tout comprendre, mais toujours fascinée par la poésie des mots – et tenter de dresser les grosses fourmis noires et poilues, espérant qu’elles étaient aussi intelligentes que son écrivain du moment semblait le raconter.

La petite fille a grandi, est devenue une adolescente. Ses choix se sont tournés vers des auteurs plus contemporains, plus rapides aussi. Despentes, Beigbeder, Lolita Pille, Djian, Izzo – tous ces mots tourmentés sur l’amour et la vie. Il en fallait plus, toujours plus, de souffrance, d’histoires d’amour qui se finissaient mal, de mots écorchés. Il y eut aussi la période des romanciers américains. Les si prévisibles Bret Easton Ellis, et puis Mc Carthy, Roth et tant d’autres.

Internet est arrivé. Les jeux vidéos. Les séries. Le cinéma. Les copains. Les sorties. Les révisions du Bac. La prépa. Doucement, les livres ont laissé leur place à la vraie vie. Le choix des livres a été imposé par les profs, la charge de travail ne laissant que peu de temps à autre chose. Il y eut Harry Potter, bien sûr, en VO pour une fois, perdu entre l’étude de Camus et de Dostoïevski, mais c’est tout. Petit à petit, la fille se désintéressa de la lecture. Pas complètement, bien sûr, mais comme dégoûtée de la complexité, ennuyée par la plupart des romans contemporains, par cette branlette intellectuelle avec lesquels se pavanent les têtes d’affiches, cette surproduction à la limite de l’écœurement d’auteur(e)s à succès. Parfois, entre deux stations de métro, quelques trop rares bonnes surprises – un roman doux de Pancol dans lequel on se laisse glisser sans trop réfléchir, en s’attachant aux personnages; ou une histoire avec jolies phrases et citations à relire, mais qui ne laisse finalement que peu de traces une fois refermés. Pour le reste, la plupart ne rapportant qu’un remous vague de l’ennui du quotidien.


Cette petite fille, c’était moi. Depuis des années j’avais perdu le goût de la lecture. Mis à part quelques écrivains et belles découvertes qui me touchaient encore et que je ne me lasse (presque) toujours pas de lire (citons Delphine de Vigan ou Véronique Olmi), la littérature française m’avait vraiment fatiguée. Nombriliste, égocentrique, parisianiste, bourgeoise et dépressive – je lisais ces auteurs sans y croire, en essayant d’y voir au travers des lignes un portrait désabusé de ma génération. Parfois, je me suis essayée à cette littérature « positive » à base d’histoires d’amour jolies-mignonnes, que je dévorais en quelques heures sans y trouver grand intérêt. Même un Marc Levy ou un Douglas Kennedy dont on connait la trame par coeur m’amuse plus que la plupart des autres têtes d’affiches de Virgin, c’est pour dire. Tout n’est pas mauvais, et je trouve encore beaucoup de plaisir à lire certains romans de ce style, mais globalement, je m’ennuie. Le style est plat, l’histoire maigre, les auteurs se retrouvent à raconter toujours la même chose, et avec un vocabulaire et une expression pauvre à tuer notre si belle langue. Même les styles d’auteurs qui m’avaient fasciné se sont taris.

Et puis, au milieu de ce désert littéraire, il y a eu quelques perles. Des romans qui m’ont permi de retrouver ce goût de lire, cette sensation de partir, loin, de m’évader. Des livres qui m’ont tenue en haleine, et m’ont donné envie, plutôt que de me poser sur mon ordi ou de glandouiller sur mon tel, de les rouvrir. Pour continuer. Pour connaître la fin. Ce genre de livres que tu as hâte de finir, et qui te laissent malgré tout avec une frustration énorme lorsque tu les refermes. Parce que ces personnages, tu t’y es attachée. Parce que tu as passé des heures à leurs côtés, à les suivre, les accompagner, frémir avec eux, arrêter de respirer. Et que tu en voudrais encore.

C’est là que j’ai réalisé une chose importante : en dehors de quelques miraculés, les romans qui racontent mon quotidien m’emmerdent au plus haut point. Les romans qui me racontent une histoire qui pourrait se passer en bas de chez moi m’ont lassée. Si tu veux parler de la vie – la vraie vie – au moins, fais le bien, sans regarder ton nombril, sans t’apitoyer sur ton sort et ta pauvre vie ni user de trop de vulgarité. Sinon, fais moi rêver. Fais moi sourire. Fais moi frissonner.

J’ai aimé la trilogie (désormais quadrilogie) du Livre sans Nom. Ca faisait peut être des années que j’avais pas dévoré des livres en si peu de temps. Avec l’envie de les relire. De les faire lire à d’autres. De les partager.

Puis il y a eu Game of Thrones l’été dernier. On peut rigoler, parce que ça fait plus d’un an que l’intégrale 4 attend que je lui règle son compte, mais j’ai lu les 3 premiers intégrales en un mois et demi (en vacances, mais bon).

Enfin, il y a eu Damasio. Et puis Bordage, et d’autres, mais surtout Damasio. Et sa Horde du Contrevent. Ce livre est aujourd’hui au rang de mes chefs-d’oeuvre. Parce que c’est sublime. Tant par l’écriture que par la richesse de son style et de l’univers qu’il décrit que par la qualité de ce roman que… C’est sans fin. Je me rends compte, des mois après, que ce livre a croisé mon chemin déjà à plusieurs reprises avant qu’il n’atterrisse finalement entre mes mains. Qu’il m’a fallu du temps pour accepter de me remettre à lire de la science/trans-fiction/fantasy (si on doit le classer dans un style). Et que putain, j’ai vraiment adoré.

Entre temps, j’ai aussi relu ces livres qui m’avaient tant marquée, avec la crainte d’être déçue de mon souvenir. C’est là que j’ai retrouvé, ce frisson qui m’avait prise il y des années, ces mots si familiers – j’ai pourtant lu 37,2 il y a plus de dix ans, et qu’est ce que Djian est devenu chiant depuis -, et retrouvé la beauté de Marseille dans les mots d’Izzo.

Voilà, comment, doucement, j’ai repris le goût de lire. Entre ces pépites, bien sûr, quelques pertes de temps (non vraiment, Grégoire Delacourt, j’ai pas compris l’engouement), quelques réflexions intéressantes (mais pas assez abouties), quelques jolies surprises. Je continue ma redescente, peut être moins boulimique, plus mesurée, mais en espérant – encore – être capable d’être émerveillée…

17 Comments

  1. Cette petite fille, ca aurait pu être moi aussi !

    Mais contrairement à toi, je n’arrive plus à retrouver un livre dans lequel j’embarque, je n’arrive plus à trouver quelque chose qui me tient éveiller toute la nuit.

    Le livre sans nom, un ami aussi enthousiaste que toi me l’a conseillé ! Premier tome lu d’une traite, 2e un peu + dur, 3e tome, j’ai abandonné au milieu… je ne comprends pas où ca va, je trouve ça creux :s

    J’irai voir tes autres suggestions cependant, je vais peut être y trouver mon trésor 😉

    1. Le Livre sans Nom c’est quand même très particulier je te l’accorde. Une des personnes à qui je l’ai conseillé a arrêté à cause du côté ultra ‘trash’. C’est peut être plus « masculin » comme lecture si on veut donner un genre aux livres. Mais pour moi toujours aussi addictif 🙂
      Le tome 4 reprend un peu le fil du Bourbon Kid si tu veux t’y remettre (le tome 3 est un peu une ellipse que tu peux sauter finalement)

      J’espère que tu trouveras ton bonheur!

  2. Ma soeur et moi étions sur le même modèle que toi : cachée dans un coin, à lire tout ce qu’on trouvait. Je me souviens même de ma directrice de primaire me traitant de menteuse en disant que j’avais déjà fini le livre emprunté 1 heure avant…
    Et ça ne m’étonne pas de toi que tu aies lu Despentes et Lolita Pille 😉
    Je reprends goût à la lecture mais c’est tellement chronophage…

    1. Ahah, le truc de lire à une vitesse hallucinante, je connais ça 😉

      Ca prend du temps oui mais quand tu y penses, combien de temps à regarder des séries ou glander sur Internet ? J’ai l’impression que pour un bon livre, 1Hh passée à lire est plus intense qu’une heure à trainer sur FB et Twitter :p c’est juste la facilité d’ouvrir son ordi je crois… Pour ça que je lis « mieux » en vacances !

  3. C’est drôle, mais à la lecture de cet article, j’ai eu l’impression de lire un résumé condensé de ma relation avec les livres. Boulimique de lectures étant petite (mais dans la bibliothèque du coin, on ne pouvait emprunter que 5 livres par semaine, donc à chaque fois, j’en prenais des très longs, sinon je passais la moitié de la semaine frustrée, sans rien à lire^^), j’ai aussi découvert Barjavel vers 11/12 ans, Stephen King et Werber dans la foulée. J’ai aussi grandi avec les Harry Potter, mais ai abandonné les lectures « plaisirs » pour les lectures obligatoires de la prépa hypokhâgne/khâgne. Et j’avoue que depuis, même si je continue à lire, j’ai du mal à m’émerveiller, à être touchée par les romans français (ou étrangers d’ailleurs) actuels… Alors vu qu’a priori, nous avons sensiblement les mêmes goûts (Game of Thrones, Bordages, en sont de parfaits exemples), je vais piocher dans la liste des noms que tu conseilles et que je ne connais pas encore. Qui sait, je trouverai peut-être aussi quelques jolies surprises ?

    Bravo en tout cas pour ce joli article tout en finesse. Et je ne pense pas l’avoir déjà dit, mais je lis très régulièrement tes articles, et j’aime beaucoup ton style d’écriture et les sujets que tu abordes 🙂

    1. Merci pour ce commentaire! Ca fait plaisir de voir qu’on est pas « seules » dans ce cas, à s’ennuyer de la lecture…
      Si tu aimes Bordage alors je suis persuadée que La Horde du Contrevent te plaira, c’est un livre magnifique. Je l’ai récemment conseillé à un ami (qui n’a pas bcp de temps pour lui en ce moment), il n’arrive plus à le lâcher.
      En tous cas j’attends tes retours (et pourquoi pas tes recommandations de lectures ;))

  4. Je me retrouve aussi dans ta description, bien que je n’en sois pas encore arrivée au point où la lecture m’ennuie complètement. Je lis moins comparée à ma vieille moi, qui enchaînait les plus gros et compliqués ouvrages sans jamais parvenir à étanchée sa soif de mots. Mais je lis encore.

    Surtout en anglais, par contre. Ces deux dernières années, j’ai eu beaucoup de mal à prendre un livre en français ou à en terminer un. Je me soigne petit à petit, mais c’est encore assez difficile pour moi de me remettre à lire dans ma langue maternelle. Va savoir pourquoi j’ai été frappée par cette lassitude de la langue française. Dès que je sais que je n’ai entre les mains qu’une traduction de l’anglais, je me rue sur la version originale.

    Sinon, ton article me rappelle que ça va faire plusieurs mois que je dois lire La Horde du Contrevent. Pareille, je passe mon temps à tomber sur cet ouvrage et sur ses extraits, mais au final j’oublie toujours de le commencer. Peut-être que cette fois sera la bonne !

  5. Un beau témoignage qui démontre que malgré deux décennies de choix d’éditeurs orienté vers le profit plutôt que vers la littérature, un lecteur reste un lecteur.
    Et c’est peut-être ça la solution à la crise de l’édition : donner le gout de la lecture aux gamins curieux plutôt que de surrentabiliser du Marc Levy prémâché à des vieux aux neurones fatigués.
    (c’est la journée de la gentillesse, il fallait bien que je sois gentil avec les éditeurs aussi).

  6. Je me reconnais dans ton portrait d’enfant ^^ Petite je lisais tout ce qui me tombait sous la main, je pouvais finir des bouquins de 700 pages dans la journée. Et puis j’ai perdu le gout de lire arrivée au lycée/en prépa, ou finalement les bouquins que l’on m’obligeait à lire m’ont dégoûtée (je garde un souvenir atroce de Candide, que j’ai détesté du plus profond de mon être).

    J’essaye, en ce moment, de me remettre à lire. Après un essai raté avec « tu pourrais rater intégralement ta vie » (acheté suite à un article de Camille, d’ailleurs), j’ai repris gout à la lecture avec « Mange, prie, aime », et dernièrement « Le restaurant de l’amour retrouvé ».

    Je cherche actuellement mon prochain bouquin, je crois que je vais piocher dans ta liste ^^

  7. La Horde, la Horde… quelle claque à la première lecture et toujours autant d’émotions et de frissons quand je prends le temps d’y repenser. Je n’ai pas encore osé le relire, j’ai presque peur d’être déçu même si cela m’étonnerait fortement.

    Il paraît qu’Alain Damasio est en train d’écrire son troisième roman, après la Zone du Dehors et la Horde, j’ai tellement hâte. J’attends également les Winds of Winter depuis tellement longtemps…

    C’est ce genre de romans et d’évasions qui me sont également redevenus salutaires et indispensables. La lecture est la seule et unique activité qui me permette à tout moment de la journée de vider mon crâne de toutes ses pensées pour ne conserver que l’émerveillement.

    Tiens, tu as lu Bradbury et Simmons ?

  8. Merci, Merci pour ce récit de vie.
    Les commentaires que je laisse sur des blogs se comptent sur les doigts d’une main… mais là, j’ai eu le coup de coeur pour ton billet. Je me suis laissée emporter dans ton histoire. Et… tu m’as redonné le goût de lire des livres et de décrocher de mon ordi

  9. Bien joli article, en effet. Je suis aussi une lectrice assidue et tout comme Elodie,
    je ne trouve pas dans la littérature de la fin du XX° siècle, quelque chose qui m’apporte.
    Souvent je « consomme » car j’ai besoin de lire, mais il ne reste rien. A telle point que
    j’oublie même le contenu du livre.
    J’ai lu « Le livre sans nom » qui m’a pris pendant toute la lecture. Pourtant, il n’est rien resté de ce livre. Je ne suis peut-être pas très science fiction ???
    J’ai lu, dernièrement « Les passions de l’âme » de Raffaele Simone. J’ai beaucoup aimé l’ecriture et le déroulement de l’histoire autour du philosophe René Descartes. Pas du tout ennuyeux. Pour considérer un livre bon, je pense qu’il doit conjuguer une histoire bien ficelée, une belle écriture et une découverte pour le lecteur.
    Bonne soirée à tous.

  10. Comme je me retrouve dans ta description !!! (et je ne suis apparemment pas la seule !) Du coup, après avoir lu ton article, ni une ni deux, j´ai commandé le Livre sans nom. J´ai fini le tome 3 hier soir. Le tome 4 devrait arriver demain ou après-demain dans ma boite aux lettres. Et après il me restera à savourer la horde du Contrevent, en espérant me délecter autant que toi. En tous cas, ravie d´avoir croisé ton chemin ! ^-^

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