Chroniques

une rencontre

premiere-fois-ldumasv

Est-ce que tu te souviens ?

C’était en Décembre. C’était un jour d’août. C’était un soir de mai. Un samedi en février. Un mardi, début juin. On avait 15, 18, 22, 26, 27 ans – presque 28. C’était à Barcelone, à la montagne, à Paris, à Montréal. En vacances, en voyage scolaire, chez des amis communs, dans un parte, sur le bord d’un trottoir.

Te souviens-tu, des premiers mots ? C’est souvent des banalités, parfois une phrase se grave à jamais dans notre esprit. Tu chantais avec tes potes pour mendier quelques euros et acheter des sandwiches moins dégueus que ceux que votre auberge vous avait préparé. J’ai ri, mon sandwich était pas pire, et on a engagé la conversation. C’était « I feel it in my fingers, I feel it in my toes… » de Love Actually, j’avais pas vu le film, tu m’as dit que c’était un de tes préférés. J’ai sorti cette phrase un peu con, alors que j’avais même pas en tête de te draguer « on s’est pas déjà vu quelque part ? ». Tu es rentré dans la pièce et tu t’es assis sur l’accoudoir du canapé, juste à côté de moi. « Je préfère l’autre fesse », j’ai dit. Plus tard on a parlé du Petit Prince et fait des jokes poches en marchant vers cette soirée. J’ai toujours le canapé. Je repense parfois à ta fesse – gauche. Je portais une combi-short bleue ce soir là. J’étais arrivée un peu hagarde dans une soirée de gens que je connaissais pas, emmenée par un « ami » que je croyais me vouloir du bien. Je me souviens plus de l’accroche, mais y avait une histoire de mamans artistes – comme quoi toi et moi, on se comprenait.

Et puis la fois où j’étais en retard et pas moyen de te joindre alors j’envoyais des texts à ton ami que je connaissais même pas sans vraiment être sûre qu’il puisse te prévenir. Celle où je suis arrivée déjà un peu saoule sur mon vélo qui grince, et que j’ai vu se dessiner un sourire sur ta face parce qu’on se plaisait pour vrai. Le soir où je t’ai attrapé dans le couloir d’un appartement parce que bon, toi et ton coloc vous étiez un peu canons (et ostensiblement costumés). Toutes ces soirées sous alcool où je me souviens pas vraiment du premier pas, des premiers mots, de la première accroche, juste d’une soirée floue et de quelques moments, après.

Parfois, les jours entre les premiers mots et le premier baiser sont seulement des heures – ça a tendance à se raccourcir, avec le temps, avec l’âge, l’alcool et la précipitation. Il y a pourtant toujours cette première fois, ce moment où tout bascule. Lorsque plus tard on y repense, lorsqu’on réalise que cet inconnu est devenu quelqu’un d’important, on aimerait se souvenir. Avoir gravé ces premières danses, comme on relit de vieux mails, retrouver ce goût d’inattendu, de surprise, de découverte. On ne sait pas alors où tout ça nous emmènera – ces quelques mots échangés, un numéro enregistré dans un téléphone ou un ajout sur Facebook dans la promesse d’une prochaine soirée. Après une heure, une nuit, qui sait.

J’aime à me souvenir. Retrouver ces images et les faire rouler comme une jolie pierre dans mon esprit, pour les réanimer un peu. J’ai une mémoire très visuelle alors je visualise, parfois très précisément, des bribes – flashs si vivants, la position d’une main, le cadre, les gens. On était dans ce bar quand tu m’as embrassée, sur le chemin des toilettes – je revenais, les mains encore mouillées, moment improbable qui te ressemble tellement. On était sur cette place d’Aix-en-Provence, engoncés dans nos manteaux d’hiver, c’était maladroit, c’était doux, c’était évident. On redescendait de la Butte, sous la fenêtre de mon studio un baiser volé que j’attendais plus – je savais pas – est-ce que je te plaisais vraiment ?. Au milieu de la rue Ste Catherine. Sur le canapé d’une soirée. Debout, dans la foule packée d’un festival. Tant d’autres.

Je ne sais plus toujours, les premières fois. Qui a fait le premier geste, qui a déshabillé l’autre, les choses qu’on s’est dites, les mots qu’on a prononcés. Parfois j’ai écrit, parfois pas – je voudrais, toujours, me souvenir. Parce que quoi qu’il se passe par la suite, c’est beau. On se connait à peine, on a pas encore parcouru nos corps et caressé nos peaux jusqu’à en connaitre chaque recoin, chaque frisson, chaque aspérité. On est juste deux inconnus qui se plaisent, deux inconnus qui ne s’attendent à rien, deux âmes qui se trouvent un jour par le hasard des rencontres et des algorithmes du web. On sait pas encore qu’on va avoir du bon sexe, tomber amoureux (parfois), se déchirer (parfois aussi), avoir un peu mal (souvent), que tout ça aura une fin. On sait pas combien de temps on va être là, à se toucher, on sait pas les petits gestes qui, par la suite, vont rapprocher doucement pas vite, ces petits gestes cons qui font qu’on s’attache, qu’un truc existe, se construit. On sait parfois que ça n’a pas d’avenir, mais on est quand même là. Parce qu’on a envie de vivre, de ressentir, de s’essayer, de partager, de se découvrir.

Parce qu’on est bien, dans ce présent.

Photo LDumasV 

18 Comments

  1. Ces premières fois, ces premiers souvenirs, ces premiers doutes qui ont déjà le goût de la nostalgie mais encore trop pour qu’on oublie de les savourer là maintenant.
    <3

  2. Ton texte est sublime…
    Ces premières fois, je les écris. Pour me rappeler. Même si la saveur de ces 1ères fois n’est jamais aussi bien exprimée par les mots.

  3. Ton texte m’a presque mis les larmes aux yeux. C’est fou comme les histoires d’amour que chacun vit sont différentes, et que pourtant lorsqu’un autre parle de sa propre expérience, on s’en retrouve tout autant touché. Merci pour cet article, il me rappelle, au bon moment, que quoi qu’il arrive, peu importe que ça finisse un jour, les rencontres sont toujours belles tant qu’on les vit au jour le jour.

  4. Je me souviens de chacun avec une précision incroyable. Et surtout du dernier en date… Lorsque j’ai du mal à m’endormir, je me rejoue le court-métrage de ce moment, au ralenti, en slow-motion… Et je m’endors en souriant.

  5. Ton texte m’a toute tourneboulé. Je vois tout à fait ce que tu veux dire. Parfois je me perds dans mes pensées, je remonte mes souvenirs, je rembobine, je fronce les sourcils, j’ai du mal à me rappeler les choses dans l’ordre. Et la vague des émotions arrivent, elle dépose tous mes sentiments mêlés, je les décortique, je les analyse…J’aime bien me poser et repenser. A ma vie. Et aux hommes 🙂

  6. Je ne me souviens de tout, je n’oublie rien. Les sensations, les sourires, les lieux, les regards. Les premières fois se volatilisent si vite, avalées par la vie, ne nous laissant qu’un goût sucré, parfois amer, dans la bouche. Le goût des souvenirs, en attendant la prochaine première.

    Très beau texte Lane, comme toujours.

  7. Parfois je m’évade à nouveaux vers ces premières fois, un son, une odeur, une ambiance.
    Je crois que c’est pour ça que j’aime les rencontres, pour la magie qu’on ne devine pas encore, les détails, l’alchimie qui suit, des fois on partage quelques jours, des fois c’est bien plus, et même si on souffre souvent, rien ne remplacera ces petits moments qui nous paraissent insignifiants sur le coup.

    Encore une fois tes mots sont très touchants, et ils m’ont permis de replonger dans mes premières fois passées, en attendant les prochaines. 🙂

  8. Parfaitement écrit… Comme je vis à Montreal je m’y reconnais d’autant plus. Parfois on ne devine pas l’impact d’une rencontre mais souvent si, instinctivement. Et on grave dans notre mémoire des détails qui, autrement, auraient pu être insignifiants…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *