Intime & Réflexions

dans quelle étagère

Je suis en pleine crise existentielle. Moi, puis pas mal des gens autour de moi, semblerait-il. Faut croire que ya un truc dans l’air qui nous fait disjoncter pas mal aux alentours de la trentaine. Tout est prétexte à introspection, remise en question, analyse, doutes. Où vais-je, d’où viens-je, dans quelle étagère.

J’ai beau avoir traversé un océan, changé de métier, explosé toutes les petites cases et assumé enfin le mode de vie qui rejoint mes valeurs et qui (je veux le croire) me rendra heureuse, il reste encore une ombre au tableau. Pas un truc précis, non, plutôt comme un nuage qui va et qui vient, un flou évanescent qui décide parfois de s’abattre sur mes pensées et de me plomber le crâne à base de hamsters qui font la roue trop vite. L’an passé, au milieu de tout ce chaos, je me suis découvert une nouvelle amie : l’anxiété. Et sa copine la migraine, parce que tsé, ce serait trop facile si y avait pas de somatisation.

L’anxiété. Ce mot valise, qui veut tout et rien dire. Ce moment où tu perds le contrôle et ça fait comme un gros moton de fils plein de noeuds que tu sais plus par où prendre, des tas de bibittes qui courent trop vite dans le cerveau sans trouver de sortie, la sensation d’étouffer parce que trop c’est comme pas assez.

Alors j’ai lu. J’ai parlé. J’ai vu une psy, une thérapeute en relation d’aide, j’ai fait du yoga, j’ai bu des tisanes à la camomille, je me suis tartinée d’huiles essentielles, j’ai fait de l’ostéopathie, reçu plein de massages de relaxation, j’ai arrêté l’alcool, je suis allée à l’hôpital, j’ai avalé des anxiolytiques, je me suis intéressée à l’acupuncture, la naturopathie, la communication authentique, et surtout beaucoup (beaucoup) d’introspection. J’ai explosé encore et encore. J’ai pas réussi à me (dé)poser.

Ça semble si facile, pourtant, de lâcher-prise. C’est drôle (not) y a un an et demi je me faisais tatouer un symbole de cette si jolie expression, parce que je pensais qu’enfin, j’étais arrivée là. Pantoute.

Parait que notre génération souffre d’anxiété comme jamais. Obsession de la réussite. Obsession de la performance. Obsession de l’argent. Et puis derrière, les valeurs. Ralentir, parce qu’on est des parasites de notre propre maison. Manger sain. Manger bio. Manger local. Moins consommer. Consommer mieux. Consommer durable. Devenir végétarien. Végan. La bienveillance. Aimer les autres. Être ouvert, tolérant, sans jugement. Donner. Aider les pauvres, les vieux, les animaux, les pays qui galèrent. Avoir conscience. De ceux qui souffrent, de ceux qui meurent, les attentats y en a partout, on tue des bébés orang-outans pour faire du Nutella. Prendre soin de soi. Acheter responsable. Faire ses propres cosmétiques. Recycler. DIY. Compenser le bilan carbone. Voyager écolo. Méditer. Faire de l’exercice. Un esprit sain dans un corps sain. Rémunérer les artistes. Innover. Entreprendre. Être proactifs. Penser à l’humain. Écouter son enfant intérieur. Penser aux oppressions. Aux conventions. Au normatif. Déjouer la construction sociale. Faire la paix avec soi-même. Retrouver l’estime de soi. Le bonheur une pensée par jour. S’accepter tel qu’on est. Sauver le monde.

Apprendre à s’aimer.

 

J’aime le Nutella. J’achète pas toujours bio. Je consomme des avocats importés par avion, et je porte du linge sûrement fabriqué par des enfants chinois. Je laisse couler l’eau trop longtemps sous la douche. Je mange des animaux morts, parfois. J’ai parfois des pensées oppressives et jugeantes basées sur la simple apparence des gens. Je suis sûrement pas assez féministe aux yeux de certain.e.s parce que je m’épile et que je me maquille. Je fais pas de méditation parce que ça m’ennuie d’avance. Je parle trop, trop de moi, je regarde beaucoup mon nombril, je suis une f*cking égoïste la plupart du temps. Je pète des crises de jalousie non justifiées, je suis susceptible, je fais des caprices d’enfant de 5 ans. Je suis difficile, avec mon mec, avec la bouffe, avec le ménage, avec les vêtements par terre, les mains sales, le bruit. J’ai des envies qui se contredisent constamment. J’ai un sale caractère. Je suis insupportable à vivre. J’ai des millions de projets, d’envies, de l’énergie à revendre, et une tonne de hamsters en résidence qui se mettent parfois à tourner trop vite dans mon cerveau.

Je suis fatiguée de culpabiliser. De me retenir d’être ci ou ça parce que « c’est pas bon pour moi, pour les autres, pour le monde entier ». Je vis dans une angoisse permanente de non-performance. On me dit que je vais « trop vite », que « j’en fait trop », attention à pas te brûler. Tu sors trop. Tu bois trop. Tu en fais trop. Vis le moment présent. T’es jamais satisfaite de ce que t’as. On me dit « pose toi, sens tes pieds, ancrés dans le sol », et « respire ». J’ai beau comprendre en quoi ce serait bon, pour moi, pour les autres, pour mon métier, je suis pas capable. Je sais plus respirer. Je sais pas m’arrêter.

Et puis quoi, si mon rythme interne, mon énergie à moi c’est d’être dans le mouvement constant ? Si ce qui me rend heureuse c’est le chaos, le bordel, l’instable ? Qui peut juger de ma capacité à observer, réfléchir, exister dans le présent parce que d’après eux, je vais « trop vite » ? L’égoïsme, la susceptibilité, les préjugés, les exigences, est-ce si détestable que ça ? N’est-ce pas tout ce que la société nous a appris depuis l’enfance ? N’est ce pas tout ce qu’on nous demande, aujourd’hui, l’hyper-conscience de notre être, notre existence, et notre impact sur le monde, l’humanité ?

Photo Louis Dumas-Veronneault - Février 2016

J’ai vu cette pièce lundi soir. Des Arbres, adaptation Québécoise de Lungs, un texte très contemporain. C’était magnifique. C’était bouleversant. C’était, posé là en 1h20 sur une scène vide, la réalité brut(e)ale de notre génération. Devenir parents, dans ce monde qui s’effondre. Et cette question – sommes-nous de bonnes personnes ? Cela nous donne-t-il le droit de nous reproduire ? En filigrane – devons-nous renier notre instinct car nous sommes devenus des animaux conscients ?

Je suis à vif, alors j’ai pleuré. J’ai pleuré et j’ai ri, parce qu’il y a quelque chose de tellement grotesque dans notre besoin viscéral de trouver un sens à nos vies, de justifier l’injustifiable, de démonter puis remonter les rouages de notre raison d’être.

Je voudrais être un chat. Je voudrais retrouver l’innocence de ne pas me poser de questions. Je voudrais ne plus savoir ce qu’est la construction sociale, comment on traumatise les vaches à l’abattoir, l’impact écologique de notre empreinte de vivant sur une planète déjà maganée. Je voudrais ne jamais avoir peur d’être une mauvaise mère, de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir assez de temps pour tout faire, tout vivre, tout comprendre, tout expérimenter.

Ce serait bien, de pouvoir dormir 18 heures par jour, courir après la boule de noeuds, et chasser définitivement les hamsters qui jouent dans nos têtes.