Chroniques

une histoire ordinaire

Début des années 60. Une femme vient de tomber enceinte, pour la deuxième (?) fois. Elle a deux enfants, des jumeaux de 2 ans, un mari qui voyage beaucoup (trop ?). Classe moyenne, le mari est ingénieur, jeune cadre dans une grande industrie. Elle aussi d’ailleurs, est ingénieure. Comme quelques femmes à cette époque, elle a fait des études. Mais comme beaucoup de femmes à cette époque elle a du arrêter de travailler pour élever ses garçons.

Début des années 60, Madame Weil n’est pas encore passée par là. L’IVG n’est pas autorisée en France, hormis pour quelques rares cas « thérapeutiques ». Pourtant c’est une pratique qui a cours chez nos voisins, au Royaume Uni, en Suisse. Cette femme retourne la situation dans tous les sens, mais une chose est sûre: avoir un autre enfant serait trop compliqué. Ils ont beau avoir des revenus corrects, ils n’ont pas les moyens d’élever un troisième bébé. Les deux premiers ont deux ans, juste deux ans, ce sont des bébés, encore, et cette femme ne se sent pas la force de gérer un petit frère ou une petite soeur.

Elle aurait pu prendre ses « dispositions », bien sûr, peut être, faire attention à ne pas tomber enceinte. Mais en retour de couches ce n’est pas facile. La pilule commence tout juste à faire son apparition, si elle existe peu de femmes se la voient prescrite. A l’époque, on parle méthode Ogino (ou « des températures »), on a des préservatifs, mais un préservatif, ça peut craquer. Et puis expliquez à un jeune couple qui ne se voit pas souvent qu’il faut respecter des dates pour faire l’amour ??

Soit. Cette femme est tombée enceinte, elle aurait peut être pu l’éviter, mais les faits sont là. Cette mère de deux jeunes enfants ne veut pas de ce bébé. Alors elle prend une décision difficile. Elle passe la Manche et prend rendez vous dans un hôpital anglais. Pour une IVG. Pour arrêter cette grossesse qu’elle ne désire pas, arrêter là l’arrivée d’un troisième enfant. Elle ne le fait pas de gaïté de coeur, non, mais elle sent qu’elle n’a pas le choix.

Au début des années 60, on n’utilise pas encore de moyens chimiques/médicamenteux pour interrompre une grossesse. On utilise une canule, qu’on introduit dans l’utérus et qui provoque une fausse couche. Parfois ça fonctionne et le foetus se décroche, parfois non, et il faut recommencer, ou on risque de donner naissance à un bébé abîmé. C’est une méthode un peu barbare, rappel des « aiguilles à tricoter » utilisées depuis des centaines d’années par les faiseuses d’anges.

Quelques jours plus tard, la femme est de retour en France. La canule est tombée. La femme n’est pas médecin, elle n’a pas certains réflexes, ne prend pas suffisamment de précautions d’hygiène, et replace elle même la canule.

Au début des années 60, une femme est morte des suites d’une IVG. Une infection, dûe à une canule mal stérilisée. Un dommage collatéral. 

Une histoire ordinaire. 

Cette femme, c’était ma grand mère. Qui a laissé deux orphelins. Qui ont été élevés par leur grand mère. Qui n’ont pas connu leur maman. Cette femme c’était ma grand mère, elle était loin de faire partie d’un milieu pauvre, sans éducation. Classe moyenne, études supérieures. Pourtant elle est tombée enceinte. Pourtant elle a voulu avorter. Elle en est morte.

L’histoire comporte peut être quelques inexactitudes, mais de ce qu’on m’en a raconté, ça s’est passé à peu de choses près comme ça. Mes excuses pour les petites imprécisions, je ne suis pas une historienne de la contraception, il se peut donc que les informations liées aux dates soient inexactes. Ce que je sais, c’est qu’à quelques années près, ma grand mère aurait peut être pu pratiquer une IVG encadrée, plus sécurisée, dans un hôpital français, et serait peut être encore là ce jour (moi peut être pas, mais c’est une autre histoire ;)).

Cette histoire est une réponse, une réaction aux propos hallucinants tenus par le FN, qui propose de dérembourser les « IVG de confort », càd les IVG sans raison thérapeutiques (grossesse suite à un viol, malformation génétique…). Je suis restée choquée devant cette annonce, et encore plus devant les réactions qui y font écho. A savoir ce type de commentaire (vu chez Dugomo, mais sûrement ailleurs): le non remboursement de l’IVG « de confort » en fera réfléchir plus d’une, on fera plus attention lors des rapports sexuels pour ne pas tomber enceinte, on « prendra ses responsabilités ». J’aimerais croire que ce soit le cas, j’aimerais croire qu’il y ait un moyen aussi « simple » de limiter les grossesses non désirées et de faire prendre conscience à des gamines de 16 ans que la pilule du lendemain ou l’IVG ne sont pas des moyens de contraception. A mon sens le seul moyen de limiter ça reste la prévention, et l’éducation. Et pas la « répression ».

L’exemple de ma grand mère prouve que de tous temps (et donc à des époques où l’IVG était interdit) des femmes ont refusé certaines grossesses, ont voulu pouvoir décider d’avoir un enfant ou non, ont voulu avoir le choix. Cette histoire montre aussi qu’on peut être une femme éduquée, avec des moyens « corrects » pour élever un enfant, et tomber enceinte sans le vouloir, et vouloir interrompre cette grossesse, pour des raisons qui ne regardent que la femme qui prend cette décision.

Je n’aimerais pas que cette histoire redevienne une histoire ordinaire. Pas en France. Pas au pays des Droits de l’Homme, où nous nous targuons d’être un pays développé, où notre devise prône l’égalité.

Je ferme les commentaires sur ce post, pas envie de me faire défoncer par des trolls de quelque croyance ou courant politique que ce soit, ce n’est pas le but. J’avais simplement envie de réagir à ces réactions, de vous raconter une histoire, mon histoire, un peu. Prenez ce témoignage et pensez en ce que vous voulez, en espérant que l’impact ira dans le « bon » sens.