Au quotidien

l’odeur de l’intime

Je m’étais dit que j’allais écrire sur mon métier. Vous raconter pourquoi je l’aime, cette job. Ses bizarreries, ses spécificités, la passion derrière tout ça.

Ça fait longtemps que j’y pense à ce post (et en fait, j’ai commencé ce brouillon il y a plus d’un mois). Mais comment raconter ? Par où commencer ? Qu’expliquer ?

D’abord, je voudrais vous parler des gens. Parce qu’il s’agit d’eux, après tout.

Des inconnus de tous genres, tous âges, originaires d’un peu partout. Il y a les bavards, et les taiseux. Les grands, les maigres, les vieux, les costauds, les tatoués, les parfumés, les rasés de près. Il y a des ingénieurs, des médecins, des gars de la construction, des patrons, des consultants, des ouvriers, des carrossiers, des retraités, des restaurateurs, des mères au foyer, des licenciés, des profs, des marketeux, des artistes et même parfois des gens sur le BS*. Il y a des jeunes couples et des vieux célibataires. Des femmes enceintes. Des jeunes parents. Il y a celui qui vient pour décompresser de sa semaine de job, celle qui n’a pas pris deux minutes pour elle depuis 6 mois, celle qui a mal partout, mais surtout entre les omoplates, celui qui vient « voyager », celui qui n’a plus personne dans sa vie depuis trop longtemps et qui a besoin d’affection. Il y a des Québécois, des anglophones, des Égyptiens, des Libanais, des Français, des Asiatiques, des Latinos, des Haïtiens, et même des métisses autochtones. Il y a les sensibles qui prennent peu de pression, et ceux qui veulent sentir que ça travaille. Les pudiques. Les curieux. Les agaçants. Les attachants. Les anxieux. Les confiants. Les réceptifs. Les émotifs. Les expressifs.

Des inconnus avec qui, en quelque sorte, je partage une heure, une heure et demie, deux heures d’intimité. Des inconnus qui, au fil des rencontres, deviennent des familiers.

Je les écoute me raconter où ils ont mal, comment ils se sentent, le stress à la job, les histoires de leur chat, de leurs enfants, de leurs prochaines vacances, leur dernière soirée. Parfois plus. Parfois, ils ne disent rien, et c’est leur corps qui parlent, et c’est souvent tout ce qu’il nous faut pour créer le moment.

Ce moment, toujours unique, toujours différent. Être là pour eux, en bienveillance, en écoute, en présence. Soulager les bobos du corps, ces petites douleurs et vieilles blessures qui les amènent à s’allonger sur ma table. Mais surtout tenter d’atteindre un peu plus loin ce qui se trouve sous la peau. Le stress, la fatigue, les émotions. On vit dans ce monde à 1000 à l’heure, poussés par la pression et les responsabilités. On traverse nos journées sans se ressentir, sans s’écouter, sans prendre le temps de s’arrêter pour savoir où on en est, ce qu’on vit, ce qui nous ferait du bien. Alors doucement, alors que je pose mes mains sur eux et travaille les tensions et les adhérences, le souffle s’approfondit. Le corps et l’esprit se relâchent. Et je vois leurs visages qui ont soudain perdu 10 ans. Je vois le poids s’alléger sur leurs épaules. Les soucis s’évaporer, pour un moment du moins. Et le soulagement infini qui se dessine dans leurs regards alors que j’annonce que le massage est terminé.

Voilà pourquoi j’aime ma job, voilà pourquoi, au delà d’un métier, c’est une passion. Il y a si peu de moments dans notre quotidien durant lesquels on s’arrête, et on se laisse aller pendant une heure ou plus, qu’on se donne l’autorisation de se laisser prendre en charge complètement. Il y a très peu de moments où, centimètre par centimètre, une autre personne touche notre corps, la surface de notre peau, dans son entièreté ou presque. La plupart du temps, quand on va voir un professionnel de la santé, on cherche une guérison, pas simplement à se faire du bien.

J’aime ma job pour la reconnaissance immense que me donnent mes clients. Pour le bien-être que moi aussi je retire à donner, certes, mais recevoir tout autant.

Voilà deux ans, j’ai décidé de suivre une formation pour devenir massothérapeute (note : au Québec on ne dit pas masseuse, qui est réservé aux salons de massage érotique qui existent un peu partout à Montréal), et un peu plus d’un an que j’ai officiellement décidé d’abandonner mon ancienne carrière de marketeuse au profit de la masso. Il y a 1000 raisons qui expliquent ce choix, le premier étant certainement une évidence étrange : ce n’est pas moi qui ait choisi la masso. C’est la masso qui m’a trouvée.

Toucher des gens. Le contact. La peau. L’intime. Je suis faite pour ça.

Lorsque je masse, c’est comme méditer. Je suis dans le moment, dans le corps de l’autre, dans ses aspérités ses formes ses noeuds et ses déliés. Je suis et j’écoute l’énergie qui se dégage, la chaleur, les vides, les pleins.

Lorsque je masse, ça me fait du bien. Il m’arrive de rentrer travailler avec le coeur et la tête lourde, les jours sans avec leur lot de tristesse, de colère et de fatigue. Et quitter le soir, épuisée mais remplie d’une énergie nouvelle, le sourire aux lèvres, le coeur riche surtout.

Bien sûr, il y a de la technique. Savoir utiliser son poids de corps, son hara pour transférer la pression sans se faire mal. Trouver les noeuds, les jitsu et les kyo, travailler en effleurage, pétrissage, foulage, main pleine, paume, pouce, friction, pression ischémique, ébranlement, mobilisation. Et j’en passe. Je sais le nom et le dessin des muscles, la position des organes, les trajets nerveux, quelques méridiens. J’utilise des huiles essentielles, des baumes de massage, du gel bio.

Pour le reste, je travaille le plus souvent à l’intuition. Je sens, mes mains et mes avant bras sont les outils qui savent comment apprivoiser la peau, les muscles, les fascias. Et j’écoute. Je ressens. Je respire.

Le massage est comme une danse. Comme une longue conversation. Comme un partage intime. Un donneur, un receveur, un échange d’énergies. Parfois, la connexion s’installe et on vibre ensemble, parfois, il faut faire tomber les barrières, les réticences, les appréhensions. Parfois, il ne se passe rien. Parfois, on se laisse aspirer.

La massothérapie m’a ouvert la porte d’un univers infini. Depuis 3 ans, je suis en constant apprentissage, tant sur le plan des connaissances, sur des notions énergétique, psycho-corporel ou biomécanique, que sur moi-même. Moi l’hypersensible, j’ai trouvé comment canaliser mon énergie, comment trouver de la reconnaissance dans mon travail, comment utiliser mes qualités relationnelles.

Ce n’est pas un métier facile. On me dit souvent, ça doit être dur. Ça l’est. Physiquement. Mentalement. On donne beaucoup, il faut constamment être à l’écoute de soi pour se rééquilibrer, ne pas se brûler. Mon corps est mon outil de travail, alors je dois être en forme sous peine de me blesser. Je suis travailleur autonome, je n’ai pas de congés payés, pas d’assurance emploi ni de jours maladie. Mais j’ai ma liberté, la flexibilité d’horaires, la reconnaissance de mes clients. J’ai surtout la chance de vivre de quelque chose qui me passionne. Alors oui, on peut s’épanouir dans son travail, tout en étant capable de payer son loyer. C’est mon choix et j’en suis fière, je travaille fort pour gagner confortablement ma vie, et je me souhaite de pouvoir continuer encore longtemps comme ça.

Intime & Réflexions

les petites cases

J’ai un problème avec les cases.

Tu sais, celles où on met les gens, avec des petites étiquettes pour savoir où et comment ranger, catégoriser, sélectionner, et indirectement, porter un jugement définitif.

C’est un jugement, que de mettre une étiquette. Une classification qui s’accompagne d’un tas d’a-prioris, de préconçus, de sous-entendus, et puis ça doit rester là toute la vie, sinon quoi. C’est comme si un jour on te disait, tu es là, et tu y restes, et même si tu voulais éventuellement bouger, tsé, t’es sûr parce que c’est compliqué, t’es bien là où t’es, t’es pas content c’est pour ça ? tu fais une petite déprime ? une crise de la quarantaine – ou d’adolescence tardive ?, et puis ça va déranger toutes les étiquettes qu’on a collées depuis le début là, si tu décides de changer ce qu’on pensait de toi, ça bouscule l’ordre établi, et après, on sait plus quoi faire – parce que tu rentres plus dans les cases toutes prêtes de la société.

J’ai un problème avec les cases, parce que je veux pas me sentir obligée de rester dans un cadre préétabli sous prétexte que « c’est comme ça qu’on a toujours fait », et « t’as fait des études », et puis « mais qu’est ce que les gens vont penser ».

Je viens de finir une formation en massothérapie. On me demande, et après, tu vas faire quoi ? Masser. Toucher des gens au coeur de l’intime. Continuer à me former pour les aider à aller mieux, dans leur corps, et peut être même un peu plus loin. Pourquoi pas reprendre d’autres études, en sexologie, cette fois, et en relation d’aide, parce que c’est difficile de s’arrêter une fois qu’on met le pied dedans, parce que je ne peux pas ignorer ce que j’ai traversé cet été. Et le marketing ? Je vais continuer, aussi, parce que j’aime ça, bidouiller des WordPress et engager les gens sur Facebook et rédiger du contenu et imaginer des stratégies. Parce que c’est bien beau la masso mais mon corps est pas fait pour tripoter des gens toute la journée, 39h par semaine, que ça draine, et que faut aussi manger. Parce que j’ai autant besoin de contact humain que de faire travailler mon cerveau, parce que rien ne m’empêche de partager mon temps, même si ça se fait pas, de quitter une job à 2500$/mois avec assurances et « responsabilités » pour un métier « manuel » aux revenus incertains.

Je me suis mariée au printemps dernier. Je ne parle pratiquement jamais de « mon mari », parce qu’à part une bague et une porte ouverte pour un visa*, ça ne change pratiquement rien à ma vie quotidienne. On s’aimait, on s’aime toujours ; on voulait faire notre vie ensemble, on le veut toujours; on a un joli appart plein de meubles IKEA ; ça arrive aussi qu’on s’engueule, qu’on doute, qu’on ne sache plus comment être deux. C’est une jolie case pourtant, mari et femme, on dirait qu’on est enfin rangé quelque part pour la famille et l’administration, et pourtant. Là aussi, ça fitte pas dans le cadre, de se marier avec juste ses amis, sans mairie ni robe blanche, un jour pluvieux d’Avril, en gardant son nom de « jeune fille »**. J’ai tendance à penser que le fait que je sois mariée ne regarde que Dany et moi. Mais ça surprend, souvent, ça bouscule les clichés, on essaye de comprendre.

copyright Jessica Boily 2015

Il y a la vie publique, et la vie privée. Dans ma vie « privée », il m’est arrivé à plusieurs reprises de poser comme modèle photo, pour des séances plus ou moins habillées. J’assume parfaitement avoir fait ces photos, elles n’ont rien de « vulgaire », mais pendant longtemps, j’ai utilisé un pseudo pour publier ces clichés, afin de cloisonner mes différentes existences. Mon identité professionnelle, publique, en webmarketing. Mon identité sur les média sociaux, ce blog, Instagram, Twitter, pour lesquels j’ai utilisé un pseudonyme, parce que je fais partie de cette génération qui a grandi sur les chats et les forums, à l’époque où le web social était un minuscule monde noyé d’anonymat. Je ne voulais pas « tout mélanger », parce que ça ferait pas joli sur un CV, mes live-tweets de Top Chef et mes réflexions d’insomnie – et que dire du fait qu’on trouve mes fesses sur les internettes.

Récemment, j’ai repris des cours d’effeuillage burlesque. J’envisage de monter sur scène un jour, j’espère dans pas si longtemps. Montrer mes fesses sur des photos, montrer mes fesses devant audience, qu’est ce que ça change ? J’aimerais, pourquoi pas, développer cette partie artistique au delà du passe-temps, me réaliser dans l’acceptation de mon corps et de ma féminité.

Plus le temps passe, et plus je décloisonne. Plus le temps passe, et plus « j’assume » l’entièreté de mon identité. Je ne suis pas « plusieurs », je suis une. J’ai de nombreux questionnements, bien sûr – comment présenter un CV si éclectique ? Qui voudra embaucher une femme avec deux métiers (et une tendance exhibitionniste) ? Qu’est-ce qui garantit à mon employeur que je ne vais pas lâcher l’un ou l’autre de mes métiers du jour au lendemain ? Où est la « constance » dans mon expérience et mon cheminement ? Comment présenter cette identité entière à mon avantage, et déjouer les éventuels craintes et préjugés qui seraient associées à mon profil ?

Si tout va bien, d’ici quelques semaines, je pourrais à nouveau reprendre une vie « normale », me tasser un peu, recoller les étiquettes, et rentrer dans la case. Si je le souhaite, il me suffirait d’envoyer des CVs joliment arrangés et passer quelques entrevues pour retrouver le chemin sur lequel j’étais en arrivant à Montréal, il y a deux ans. Je sens pourtant qu’il n’y aura plus jamais rien de « normal ». Trop de choses ont changé, profondément, qui m’interdisent de revenir en arrière.

On m’a parfois reproché mon « trop de transparence » ou de « spontanéité », on m’a aussi dit de faire attention, que ça pouvait être une faiblesse. Avec la mentalité Française, dans certains milieux professionnels peut-être ; ici, avec ce que je fais, je ne crois pas. Je souhaite au contraire croire que mon authenticité est un atout, une richesse autant sur le plan professionnel que dans mes relations inter-personnelles. Cela me fermera peut être quelques portes, mais je ne suis plus à ça près. Si on refuse de travailler avec moi parce que je suis moi-même, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas m’entourer de gens qui se cachent derrière des profils types, qui ont à tout pris besoin de faire rentrer les gens dans des petites cases.

Si tout va bien, d’ici quelques semaines, je pourrais enfin construire ce projet multiple de ma nouvelle vie – devenir travailleuse autonome, partager mon temps (pourquoi pas) entre un emploi à temps partiel dans un spa, des clients à domicile, et des contrats à la pige en web-communication – et peut être, gagner aussi un peu ma vie en montrant mes fesses sur scène et devant l’objectif. Tout est possible. Je l’avoue, j’ai peur, mais j’ai hâte en même temps. Hâte de pouvoir sortir des cartes d’affaires sur lesquelles j’écrirais :

Elodie J. // massothérapeute, stratège-web

Mademoiselle LaNe // performeuse burlesque, modèle photo

 – Femme libre –

copyright Jessica Boily 2015

Photos Jessica Boily, 2015
Notes :
*Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, le fait de me marier avec un Québécois ne m’apporte pas automatiquement la citoyenneté Canadienne, même en tant que Française la demande de résidence permanente par parrainage (dans mon cas depuis l’extérieur du Canada – je reviendrais peut être là dessus un jour pour les explications) prend de 6 à 8 mois à être traitée. En attendant j’ai un permis visiteur ne m’autorisant ni à travailler ni à bénéficier de couverture santé, mais j’ai pu étudier sur une période courte (inférieure à 6 mois)
**Au Québec, depuis la Révolution Tranquille, c’est absolument normal de garder son nom. Légalement, on a le droit d’utiliser le nom de notre mari/femme comme nom d’usage – par exemple dans un cadre professionnel – mais sur le papier, on conserve son nom de famille original. 
Intime & Réflexions

stand-by

aborted-beginings-jessica-boily

(c) Jessica Boily – abortedbeginnings.tumblr.com

Il y aura eu les nuits en pointillés, saccadées par les réveils au moindre bruit, les douleurs fantômes, l’engourdissement de tous mes membres, un par un. La chaleur aussi, et puis les « impatiences ». Les étirements qui ne font plus rien. Le chat qui miaule. L’autre chat. Le bruit de la rue. Le ventilateur. Un mouvement quelconque. Alors on se lève, on marche, on sort sur le balcon prendre l’air. J’étouffe. Je suis si fatiguée. Je voudrais seulement dormir. S’étendre sur le canapé, faute de se battre avec les draps humides. Se recoucher. Jusqu’au prochain réveil. Une heure après. Et ainsi de suite.

Il y aura eu les douleurs. Trapèzes, supérieur, moyen, rhomboïdes, gauche droite, longissimus, carré des lombes, et le pourtour de la crête iliaque. Deltoïde, biceps, triceps, brachio-radial, fléchisseurs, extenseurs, quelque part sur l’éminence du pouce, et ce point entre les métacarpes. Grand fessier, pour varier un peu, moyen et petit sûrement, le psoas trop tendu, quadriceps, ma préférée – la bandelette (ou : tenseur ilio-tibial) et son antagoniste couturier, le sartorius. Ça ne finit plus, tension sur le mollet, les « jumeaux » gastroc, et puis pour finir, l’illusion de tendinite sur le tendon distal du soléaire qu’on assomme à coup d’ice-pack et de Voltarène.

Je les ai nommés, tous, chacun leur tour, accompagnant mon apprentissage cinétique. J’ai senti mon petit pec se détendre sous la pression de mon kiné, mes SCOMs et mes scalènes tous pognés de ne plus savoir respirer, cette saloperie de diaphragme, aussi. Les muscles du stress, on m’a dit. ahah. Chez l’ostéo, on m’a fait craquer les vertèbres, cervicales C1-C7, dorsales D1-D12. Je les compte en autant de claquements, symphonie vertébrale. On a laissé mes lombaires tranquilles. C’était le foie, ou la vésicule biliaire – selon de quel côté du globe on prend la médecine ; et puis ces migraines, l’intolérance à l’alcool, et ces crises de larmes, et la difficulté à dormir, depuis des mois. Yoga thaï, shiastu, viscéral, cranio, fascia, suédois tous les jours, jusqu’à ne plus supporter aucun contact, aucune pression. Test de grossesse, hyperthyroïdie, intolérances alimentaires, manque de minéraux, whatever.

J’ai tenté de reprendre le contrôle. J’ai peint mes cheveux en licorne. J’ai fait beaucoup de ménage, et de rangement. J’ai eu 29 ans, et j’ai commencé à vraiment paniquer.

À un moment, quelque part entre septembre et juillet, j’ai cessé d’avoir mal. J’ai recommencé à dormir. Je reprends possession de mon corps, petit à petit – j’essaye, je dirai.

Je n’ai pas réussi à cesser de pleurer.

Il y a les crises. Les larmes, sans raison. Les colères, les sautes d’humeur, la lassitude, l’envie de ne voir personne, l’envie de mordre tout le monde, et qu’on me laisse tranquille, et qu’on ne me touche plus, je ne veux plus parler de moi, ni écouter les autres, je ne sais plus qui est mon corps, cet inconnu qui m’empêche de vivre, non je ne suis pas enceinte, merci, les up&downs, s’énerver pour un rien, pleurer, encore. Je ne suis pas triste, j’ai juste les yeux qui se mouillent quand on appuie un peu fort sur mon corps, quand la musique de relaxation n’est pas relaxante, quand la vaisselle traîne, quand je suis fatiguée, contrariée, angoissée. Je suis fatiguée tout le temps et contrariée par un rien. Coucou, l’anxiété, on se connaissait pas encore. J’ai à nouveau peur du noir.

Je ne me reconnais plus. Je ne sais plus qui je suis.

J’ai écouté le cri d’alarme de mon corps qui ne pouvait plus rien absorber, enterrer, oublier – encore, le trop plein, la somatisation de deux années, ou trois, c’est selon. La façade a explosé, plus rien ne me retient, il n’y a plus de sas de sécurité, c’est là, for real. J’attends sans aucune patience le prochain verdict. En silence. Sans bruit. Sans savoir si – ce si qui signifie refus – cette fois encore, j’aurais de quoi surmonter, relancer, trouver des solutions, repartir. Avec l’angoisse sourde et violente de ne plus avoir de garde-fou, l’angoisse de l’attente, l’angoisse de devoir – une énième fois – tout remettre en question.

J’attends. Je survis, quelque part dans une zone de tri, une boite de Shrödinger, un limbo de patience – ni morte, ni vivante. Ni là, ni ailleurs. En suspend.

On a beau s’accrocher aux possibles, aux optimismes, aux ficelles invisibles qui nous ont fait tenir debout tout le long, on est toujours seul face à soi-même. On a beau rationaliser sa vie, faire des statements, ériger ses valeurs comme des mantras sur lesquels on veut s’appuyer, et RE-LA-TI-VI-SER (quel bullshit ce mot), parfois, le réel – l’émotion, le dedans, le soi – vient foutre le bordel, parce que c’est comme ça.

Je sais bien. J’y arrive plus. Si je bouge, tout s’effondre. Alors je ne bouge plus.

La seule chose que je sais, c’est que je ne sais plus rien.

Au quotidien

parmi vous

aborted-beginingsJ’ai environ trois ou quatre brouillons de cet article où j’essaye de raconter, d’expliquer, le pourquoi du comment, les derniers changements, le bordel continu qui se stabilise aussi d’une certaine façon, le où je suis, où je m’en vais, je fais quoi. J’ai tenté de faire simple, et puis ça ne s’explique pas – enfin, si, j’ai un tas de mots rationnels à poser pour justifier le chemin que j’ai pris, la vérité c’est que c’est une fois de plus un choix par « fait accompli », une issue de secours qui se transforme doucement mais sûrement en une nouvelle voie, la vérité se résume en quelques mots sans équivalent en français : life happens.
« La vie arrive ». On pourrait dire ça. J’ai évoqué tellement de fois le bordel de ma vie, les changements incessants, le flou, les décisions qui n’en sont pas vraiment – parce que si j’avais tracé ma vie il y a quelques mois je ne m’imaginais pas là – et je ne cesse de répéter cette phrase – si j’avais pensé que.

Mais voilà. Aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai la sensation que dans tout ce flou, dans toutes ces incertitudes, cette instabilité, j’ai commencé à me trouver. J’ai eu un million de prises de conscience, d’épiphanies plus ou moins heureuses, parfois simplement en réalisant que ce truc que je vivais « par défaut », comme « solution temporaire », était peut être quelque chose qui me convenait. Et par la force des choses, l’impossibilité de continuer la route que je voulais suivre à la base, j’ai fini par prendre tout ça sous un autre angle, et au delà de l’acceptation, m’approprier ce qui se passe. Je pense qu’on passe tous par là à un moment, si on se retrouve privé d’une capacité qui jusqu’ici nous semblait normale, ou bien les choses arrivent, et on change de direction. Je pense à Laura qui a décidé de devenir prof de yoga et dont l’histoire résonne étrangement avec la mienne. Lucie et Thibault qui sont partis s’installer au fond de la Bretagne dans un moulin qui prend l’eau. Fanny qui a découvert il ya quelques mois qu’elle avait un problème à la hanche qui sera un handicap à vie. On fait quoi dans ces cas là ? On apprend à vivre différemment, je crois.

J’ai pas perdu de hanche, ni eu d’accident, je suis en santé ; mon seul « handicap » temporaire, c’est les joies des visa, c’est de ne plus pouvoir travailler. C’est d’avoir décidé de rester ici malgré tout, de m’accrocher, accepter les aléas.

Life happens. Ces derniers mois, après une énième décision arbitraire de l’immigration, j’ai donc perdu une opportunité de job, je me suis mariée, et j’ai repris des études – pour occuper ces longs mois d’attente. Une formation courte (je peux pas étudier plus de 6 mois sans permis d’études) en massothérapie, encore une décision sur un semi-coup de tête, qui mûrit quand même depuis presque un an. Je reviendrais plus en détails dans un autre post sur la massothérapie au Québec, et plus spécifiquement ma formation (c’est très différent de ce qui existe en France, et oui c’est fascinant). Le fait est que, partie à la base pour faire ça « pour m’occuper » et « pour ma culture générale », et « on verra bien ce que j’en ferais quand j’aurais ma RP », je commence doucement à me poser réellement la question d’en faire mon métier, à temps plein, ou en partageant mon temps en freelance avec ce que j’appelle encore mon « vrai » métier, le webmarketing. Il y a aussi ce cap à passer qui m’éloigne définitivement de la France, de ma vie d’avant, le lien qui s’affaiblit, la distance. Suis-je encore parmi eux… ?

masso

Je suis loin d’avoir une réponse. Là encore il y a des listes qui s’écrivent dans ma tête tous les jours, des pros et des cons, des questionnements, des doutes, des envies, des projets, et tout ça qui se mélange. J’ai toujours pensé qu’un jour je changerais de voie, reconversion, autre, mais pas là, pas à 29 ans, pas avec si peu d’expérience dans mon domaine. Je m’éclate aujourd’hui dans ma formation, mais c’est nouveau, qu’en sera-t-il si j’en fais mon métier ? De l’autre côté, je m’éloigne de plus en plus d’internet, de la comm, j’observe les opés et les événements d’un oeil blasé, qui se dit « à quoi bon ? » (et je te parle pas de ce que je pense des « tendances », des magazines féminins et du bullshit général bien pensant…). C’est pas le cas pour tout, bien sûr, il y a encore des projets qui me font vibrer comme ceux auxquels j’ai participé – trop brièvement – l’été dernier et cet hiver ; et je suis certaine que je retrouverais la « flamme » si je replongeais pour de bon dedans.

Mais.

L’année est loin d’être terminée. Les questionnements se posent, doucement. J’accepte moi aussi ce changement qui s’est fait, dans ma vie, en moi. Je cherche l’équilibre. J’ai la chance de n’avoir aucune obligation, aucune responsabilité, aucun engagement, et des gens qui me soutiennent sans me juger. J’ai l’impression d’avoir fait les choses dans le désordre, d’avoir agi en réaction à des événements, presque dans l’urgence, et maintenant que cette urgence n’est plus, je réfléchis enfin à ce que je vais faire de tout ça. Peut être que c’est ça la vie, finalement. Une succession de réactions qui finissent par s’ancrer définitivement, tout ça parce qu’un jour, on a décidé de sortir du chemin. 

La suite, au prochain épisode…

 

Au quotidien

la maladresse

jean coutu

Ya des gens dans la vie, qui sont doués de leurs mains.

Spoiler : c’est pas mon cas.

Comme le disait si bien la grande philosophe Florence Foresti, « dans la vie, on peut pas être doué en tout : ya des gens qui sont doués en amour, moi je suis douée en orthographe ». Je sais pas en quoi je suis douée (je veux dire, à part pour corriger les fautes d’orthographe des autres, procrastiner, adopter des chats et avoir des emmerdes de visa), mais je sais pour sûr que je suis pas douée avec mes dix doigts (et les autres extrémités qui viennent avec mon corps) (dit comme ça, j’ai de la chance de pas être un mec…). Je suis ce qu’on appelle maladroite. Dans d’autres termes, mon père parle plutôt de ma « délicatesse légendaire », référence à ma façon (délicate, donc) de servir un plat ou de l’eau ou autre truc relativement lourd qui me donne l’air d’une une vache en train d’essayer de se servir de couverts. Je casse rien, notez, je suis plutôt bonne à ça, ma spécialité à moi, c’est les (faux) mouvements, et me blesser sans faire exprès.

Je suis le genre qui se penche pour attraper un truc de l’autre côté de la table et paf, le mug de thé et la tasse de café ont repeint la cuisine (encore une fois, pas de casse). Le genre qui essaye de changer de position dans un câlin qui a un peu dérapé et merde, l’autre se retrouve avec un oeil en moins (j’ai encore émasculé personne, mais c’est parfois pas passé loin). Le genre qui a régulièrement des bleus sortis de nulle part, des égratignures, griffures, blessures, hématomes, et autres joyeusetés dont je suis bien souvent incapable d’expliquer comment elles sont arrivées là.

Cette semaine, j’étais pas mal dans mon genre. Je sais plus exactement comment j’en suis arrivée là, mais je me suis retrouvée vendredi avec quelques bleus sur les jambes (mon vélo), des égratignures (porter des briques ça grafigne), deux pansements au pied (je me suis ouvert un orteil en me cognant contre une valise – ça coupe ces bêtes là, et j’ai marché sur un marteau – merci mon chum bricoleur), une coupure à la main (les barbecues, c’est chiant à monter), une brûlure sur le poignet (l’huile chaude, ça saute), un hématome au creux du coude (pas ma faute celui ci, je réagis mal aux prises de sang) et une belle bosse sur le front (c’est à dire que la porte du placard au dessus de la laveuse était ouverte, et ça fait mal).

bleu

Je trouvais ça drôle. Je faisais des petites jokes sur Twitter, et sur Facebook je m’amusais à faire la liste de tous les trucs qui s’étaient passés dans les jours précédents.

fb

Mon chum m’a dit que je m’étais jinxée moi-même, pis je crois qu’il a raison. Samedi soir, je rentre et je me mets à cuisiner (rappelez vous, j’ai un blog cuisine – quand je prends le temps d’y poster mes recettes). Un filet mignon de porc, grillé à la poêle, puis finir la cuisson au four. Je grille, j’enfourne, je ressors la poêle. Je gère. Je prépare une planche à découper, un couteau, je me retourne et j’attrape la poêle pour sortir la viande.

J’attrape la poêle. Qui sort du four. À main nue.

Voilà.

Trois minutes plus tard Dany entre dans la cuisine et me voit la main sous le robinet, comprend pas (j’ai pas crié ni rien tsé, les soirs où t’as juste envie de pleurer tellement tu te sens ridicule et nulle et pas douée), et se fait envoyer chier (le pauvre) (je suis horrible dans la douleur) (pas seulement dans la douleur, en fait, c’est un garçon courageux) (sûrement une qualité qui se développe après avoir survécu à 28 hivers québécois). Une heure trente plus tard j’ai toujours ma main dans un saladier d’eau, mon chum adorable et pas rancunier est allé jusqu’à une pharmacie d’urgence me chercher des bandes spéciales brûlures, et on improvise un bandage de fortune.

Faque. Pour la fin de semaine, j’ai gagné une main de Mickey.

main bandage

(note : le bandage sur la photo a été réalisé par une professionnelle. ne tentez pas de reproduire ça chez vous)

Ça s’arrêterait là si ça pouvait. Sauf que non. L’ironie dans l’histoire, c’est que le lundi matin, je commençais une formation. En massothérapie.

(note : si tu comprends rien c’est normal, j’ai beaucoup trop d’articles en retard, je sais.)

Bah tu sais quoi ? Je me suis pas pire débrouillée avec une seule main pendant trois jours. Mais masser avec un gant, c’est VRAIMENT pas pratique.