Chroniques

la piscine

Je n’ai pas de souvenir exact du moment où j’ai appris à nager. J’avais, trois, quatre ans, peut être cinq. Je ne me souviens pas non plus de l’endroit – était-ce à l’école ? Dans une piscine publique ? Des cours particuliers, ou en groupe ?

Lorsque nous nous sommes installés dans la maison où j’ai grandi, nous avons eu une piscine. Un bassin rond pas très grand, de ces piscines hors sol avec une échelle extérieure et un liner bleu qui s’abîmait facilement. Je me souviens que mon père a passé du temps à chercher et colmater les fuites et du liner criblé de patchs. Je me souviens de mon frère, qui a sauvé de la noyade une petite fille de son âge, un après-midi d’été où nous jouions dans le jardin, elle avait sauté dans l’eau sans réaliser qu’elle ne savait pas nager ; mon frère à cette époque refusait de retirer sa ceinture de flottaison, et avait eu le réflexe de sauter avec elle et de la ramener au bord, le temps que ma mère arrive, alertée par les cris. On était pas grands, à cette période, ça devait être l’été de mes 5 ans, mon frère en avait 3, on venait de quitter notre petite maison du Tholonet. Je me souviens avoir perdu une dent dans cette piscine, d’avoir été anéantie par l’idée que la petite souris ne passerait pas faute de lui fournir ladite dent. Mon père avait alors passé plusieurs heures de recherche, lampe torche à la main, pour retrouver la dent de lait au milieu des graviers et autres morceaux de plantes qui jonchaient le fond de l’eau. Spoiler : il l’a retrouvée (ou ça fait partie des mensonges jamais trahis). Plus tard, nos nouveaux voisins ont eux aussi construit une piscine. Plus grande, plus profonde, rapidement on a préféré aller jouer là-bas avec les enfants du quartier, délaissant notre petit bassin qui a bientôt été retiré par mes parents pour installer un jacuzzi.

Quelques années avant ça, dans l’ancienne maison, mon frère et moi jouions avec les « pains » de mousse qui composaient ces fameuses ceintures de flottaison. On faisait du « patin » dans la baignoire avec (on avait inventé ce jeu, je me souviens plus exactement pourquoi, mais le souvenir est très vif dans mon esprit). Je déduis donc que c’est durant ces années que j’ai commencé à apprendre à nager.

Du plus loin que je me souvienne, il y a toujours eu de l’eau. L’été, nos vacances en Corse et les plages bordées de turquoise, les heures passées à chercher des crabes et observer les poissons. Les tempêtes, et les énormes vagues dans lesquelles on se jetait tête première, sans avoir peur, malgré les innombrables fois où on avalait la tasse. La seule chose dont j’avais peur, et c’est encore le cas aujourd’hui, c’est ne pas voir le fond, et les algues. Il suffisait d’un masque et un tuba pour apaiser mes craintes, tant que je pouvais voir le sable sous nos pieds.

Il y a eu des années de piscines, aussi. C’était normal. En fait autour de moi beaucoup de mes amis avaient une piscine chez eux, on avait toujours des cours de natation avec l’école, et la mer à côté, alors on apprenait à marcher, puis on apprenait à ne pas couler. Primaire, collège, lycée. Natation à l’école, cours collectifs le soir. Des longueurs, encore et encore. Deux ans de natation synchronisée, on où synchronisait pas grand chose et où j’étais pas très douée pour faire le voilier. Je ne crois pas avoir jamais demandé à ma mère de m’inscrire à la piscine, je ne sais même pas si j’aimais vraiment ça. Si on me demande ce que je faisais comme sport étant jeune, j’ai fait dix ans d’équitation. Pourtant, de 5 à 18 ans, l’hiver à la piscine, l’été dans la Méditerranée, je nageais.

corse-1998

En trois ans à Montréal, je n’étais jamais allée nager. Une fois ou deux, à la piscine l’été, barboter sur le bord de l’eau pour tenter d’apaiser la canicule. Les piscines sont pour la plupart gratuites, et c’est pas faute d’y avoir pensé et d’avoir fait plusieurs tentatives. On avait même une piscine à un coin de rue de chez nous, qui a été en travaux pendant la période exacte qu’on a passé dans cet appartement. Après ça, mon maillot de bain ne me faisait plus – disons pour être honnête que j’ai même pas essayé, sachant qu’il date de mes derniers cours de natation il y a 10 ans – et les 100$ à débourser pour un truc portable chez MEC ou Sports Expert m’ont complètement freinée. Ma mère m’a rapporté un maillot Decath parfaitement pas cher à 20 euros en Mai, l’année dernière. Puis j’ai manqué de temps, J’ai teint mes cheveux en pastel, le chlore, ça va les abîmer. Puis.

Début 2016, bonnes résolutions, j’ai décidé (pour vrai) de retourner à la piscine. On s’est motivés à plusieurs, j’ai enchaîné une vingtaine de longueurs, pendant que mes amis barbotaient à côté. J’ai réalisé que j’étais plutôt bonne, en comparaison. Toute ma vie, je me suis sentie la pas-sportive, la nulle avec des ballons, la pire partenaire pour le ping-pong ou le badminton, celle dont le cardio montait pas vite et qui obtenait des notes pas si pire en sport dans seulement deux disciplines : la course d’endurance, et la natation. Je suis retournée à la piscine ce soir, après la job. J’étais persuadée de me démotiver, et puis l’agacement d’une conversation par message texte, le besoin de me défouler. Comme la première fois, il y a un mois, j’ai aligné 500m crawl-dos-brasse sans m’essouffler. Je suis sortie légère, toujours un peu feignasse dans l’âme car j’ai pas passé plus de 20 minutes dans l’eau, mais fière. Fière de m’être bougé le cul pour enfiler un maillot, fière de réaliser que je tiens encore le rythme, que je sais toujours respirer, que je nage plutôt bien finalement.

J’ai pas réalisé un exploit, j’ai simplement renoué avec mon enfance. Des années à croire que j’étais mauvaise en sport, et me persuader de ce fait que j’étais pas sportive. Des années à penser que j’étais pas souple. Après quelques mois de yoga, je « passe » facilement la plupart des postures (en souplesse, musculairement on est encore loin du compte). C’est con, quand on y pense, à quel point on peut se construire sur des idées fausses, simplement parce qu’on n’a pas trouvé sa voie.

Une amie m’a partagé cette semaine une idée tellement évidente qu’on l’oublie trop facilement. L’estime de soi, c’est pas un gros bloc qui vient d’un coup, on l’a ou on l’a pas. C’est des tas de petites choses.

Ce soir j’ai ajouté une brique à mon tas.