Intime & Réflexions · Voyages

le Brûle

Photo Manu Al

Eille que j’ai du mal à l’écrire, ce post. Deux semaines que je suis rentrée, et on me demande régulièrement : « alors, c’était comment ? ».

((Résumé des épisodes précédents : je suis partie à Burning Man. Je rêvais d’y aller depuis 2013, c’était planifié pour cet été, et puis non, et puis oui, et on a organisé cette folie avec un mois et demi de préavis.))

C’était comment, Burning Man.

Comment vous dire.

– premier tableau : les éléments –

C’était… la Terre. La Dust, ou poussière, qui vole, au moindre coup de vent, et se transforme en redoutable tempête. Qui se glisse partout, dans les tentes, dans les fringues, dans les souliers, dans la nourriture, dans l’eau. Déposer un objet pour dix minutes, et il se retrouvera couvert d’une fine pellicule blanche. La peau sèche, tire, les cheveux absorbent et refusent de se démêler, les ongles cassent, alors on s’enduit d’huile de coco et on se lave avec du vinaigre pour tenter de contrer l’alcalinité. La Dust et ses tempêtes, terribles, qui t’enveloppent sans s’annoncer, comme un nuage de poudre. Je suis la Dust, il disait. On est tous la Dust, après 8 jours dans le désert. Autour, les montagnes, sèches, superbes, majestueuses, rassurantes, maternelles presque dans ce désert blanc, alors qu’elles se parent de rose et d’orange au coucher du soleil.

C’était… l’Eau. Précieuse. Vitale. Boire entre 4 et 6 litres par jour au minimum pour ne pas se déshydrater sous 40° à l’ombre et 10% d’humidité. Pisser toutes les heures. Checker la couleur, trop foncé, tu bois pas assez, trop clair, tu retiens pas l’eau. Manger salé pour augmenter la rétention, ajouter des électrolytes, du magnésium, et d’autres minéraux. De toutes façons, avec la Dust plus rien ne goûte rien. Pisser dans une bouteille, la nuit, parce que les toilettes sont loin. Se promener avec sa bouteille, et faire des câlins pareil, c’est normal à Black Rock City. Boire, encore. Prendre une douche collective avec 150 autres personnes, tous à poil et on rigole, c’était peut être une de mes expériences les plus délirantes et géniale de la semaine. Se laver dans un seau le reste du temps, et apprendre à faire la vaisselle avec des pulvérisateurs.

Photo Manu Al

C’était… l’Acier. Un 747 posé au milieu d’un désert, un ours polaire, des robots, des robots, des robots (encore), des voitures modifiées, des camions qui crachent du feu, des vélos par milliers, un empilement de voitures, des balançoires géantes, un dôme de feu, une méduse géante. Des camions, des voitures, partout dans la ville, et une file immense sur la route pour venir, et repartir. Des génératrices pleines de gaz, essence, propane. Des carcasses certainement abandonnées après.

C’était… l’Air. Un immense ballon gonflé dans le ciel. Une fausse Lune. Et la vraie. La nuit, on ne voit pas les étoiles à cause de la lumière. Mais la Lune était rouge, au moment de se lever. Et l’air, la nuit, venait geler doucement le creux de nos cous.

C’était… le Bois. Les structures sublimes du Man et du Temple, et une maison dans une maison dans une maison. Le soir où le Temple brûle, on entend le bois craquer, on peut sentir l’odeur du feu et de la flamme, et des étoiles. et.

C’était… le Feu. Bien sûr. Intense. 88 000 personnes dans un désert sec, aride. Un ciel bleu pur, un soleil brûlant. Du bruit, de la musique, des cris, des chants, des discussions, partout, tout le temps. Le jour, la nuit, ça ne s’arrête jamais. Des stimulations constantes. De la lumière, partout, la nuit, des LEDs, des art-cars qui crachent du feu, des arts-cars qui crachent du son, des lasers qui déchirent le ciel. Des camps techno electro trance bass et j’en passe, des scènes prêtes à accueillir 3000 personnes, peut être plus. Des vélos, des manteaux, des oeuvres interactives, ou non, les petites lumières fluos et les lampes frontales sont nos meilleures amies, la nuit.

et-

le Brûle. Le Brûle de l’Homme. Le Brûle du Temple.

Photo Manu Al

– deuxième tableau : les autres –

Je voudrais vous parler des gens, des humains qui font et défont Burning Man, de  ces Burners vétérans, des rangers, des Sparkle Ponies, des milliers de Français (partout) (c’était peut être la 2e langue de Black Rock City après l’anglais), des Virgins comme nous. De l’alcool, de la drogue, du sexe. Des costumes fous, des initiatives, de la beauté des gens. Des liens qui se créent sous l’apparente superficialité des rapports.

Peut être que j’écrirais plus tard, un jour, ou pas vraiment.

Photo Manu Al

– troisième tableau : qui suis-je ? –

Je n’ai pas vraiment souffert de la chaleur, ni du manque de sommeil, ni de l’altitude. Mon corps, globalement, a été un vaisseau solide et rassurant pour traverser cet Océan.

Je n’ai pas été déstabilisée par le contenu. Des gens presque nus, de la sexualité libre, des costumes, une liberté d’expression totale, je m’y sentais parfaitement à ma place, et pas grand chose ne m’a surprise dans la folie de ce quotidien. En quelque sorte, ma réalité Montréalaise, ce que j’ai construit petit à petit depuis plusieurs années, la personne que je suis devenue, se mêlent parfaitement avec cet univers. De plus en plus à l’écoute de ma vérité intérieure, je m’en allais vivre mon premier Burn avec l’impression que je ne subirais pas de décalage brutal entre qui je suis dans le monde normal et ce qui s’exprimerait dans cet espace de liberté totale.

Les premiers jours à Black Rock City, pourtant, ont été difficiles. Tout ce bruit. Tout ce monde. Toute cette agitation. J’ai eu du mal à trouver mon centre, bousculée par  l’absence de repères, l’hostilité de l’environnement, l’apparente superficialité des connexions, l’hyperactivité, la surconsommation. J’ai douté, que faisais-je ici, pourquoi, qu’y avait-il à Black Rock City pour moi, était-ce bien ça ce rêve dont on m’avait tant parlé ? Où était la spiritualité, l’expérience « life-changing » et transcendante ? Déconnectée de mes habitudes de m’occuper des autres et prendre en charge des projets, loin de ma petite communauté de hippies câlineux et de mes forêts Québécoises, et malgré la présence rassurante du Barbu à mes côtés, je me trouvais seule face à moi-même, sans mes masques et mes outils habituels pour me contenir, me protéger, me reposer. Où planter mes racines, comment me nourrir dans ce désert aride ?

Alors j’ai plongé.

Burning Man is a place to surrender, surrender to the elements, surrender to the environment, surrender to oneself. Surrender, and release.

Burning Man est un endroit pour rendre les armes. Lâcher-prise. Lâcher les apparences, lâcher le contrôle, lâcher les tentatives même de faire. Dans cette aventure, je n’étais plus contenue par le rôle social de prendre soin des autres. Je n’avais plus d’autre responsabilité que m’occuper de moi-même, avec aucune référence sur comment le faire dans ce lieu atypique. Je ne pouvais pas être partout, je ne pouvais plus décider grand chose, je ne comprenais rien à ce dont j’avais besoin. En fait mon mental, quelque part, a disjoncté.

Un après-midi, après avoir cherché en vain toute la journée quoi faire pour soulager mon état de confusion, je suis partie me (re)trouver. J’ai roulé jusqu’au Temple, et je me suis assise, au milieu des gens qui pleuraient, du trop plein d’émotions, des photos de défunts, de chiens, des lettres d’adieu, des pensées. J’ai médité, longtemps.

Photo Manu Al

Alors soudain j’étais juste . J’étais. Pour la première fois depuis le début de l’aventure je me trouvais au centre. Dans le chaos émotionnel qui m’entourait, je touchais à ma Vérité. Je cherchais depuis des jours (des mois ?) à craquer, briser, expulser des émotions retenues. Mais j’étais déjà là, et ce qui restait, ce qui résistait encore, loin d’être enfoui, affleurait la surface, ne demandait qu’à être reconnu. Je n’avais qu’à accepter son existence.

J’ai écrit sur une page de cahier quelques mots pour le Temple, que j’ai pliée et coincée dans un recoin de la structure.

J’ai continué, vers la Deep Playa. Je me suis laissé me perdre dans une tempête de Dust, j’ai croisé les formes étranges des oeuvres et des gens, vélos, chapeaux, masqués. Au milieu d’un whiteout, un homme m’a hélée. Tu es perdu ? J’ai demandé. Non, il dit, je fais une série de photos, portraits de la Deep Playa. Veux-tu poser ?

J’ai posé telle qu’elle. Dusty, les yeux flous par le vent, sans aucune criss d’idée de quoi j’avais l’air. J’étais partie sur la Deep Playa pour me retrouver.

Je suis.

Lorsque le Temple a brûlé dimanche, j’ai ressenti sa force, sa puissance, l’émerveillement devant la charge spirituelle du moment – enfin, le calme, enfin, les soundcamps éteints, enfin, entendre le bruit des flammes, sentir l’odeur du feu, et voir les étoiles. Dans la quiétude du braisier, j’ai reçu un message. J’ai reçu la confiance, c’était beau et pur, et évident. Je suis vulnérable, et forte. Je suis sensible, et c’est un don. Je suis en pleine expansion, et je suis minuscule. Je ne sais rien, et je peux réaliser tout ce que je désire.

J’étais libre.

I can surrender and be loved.

I can approve of myself without guilt.

I can overcome my fears.

Alors, c’était comment, Burning Man ?

C’est l’endroit où j’ai pu reconnecter avec ma vulnérabilité.

Intime & Réflexions

mue

photo Jessica Boily

À force de m’occuper du corps des autres, j’en oublie parfois le mien. Je croise au détour d’un miroir, mon reflet. La peau est lisse, mais les yeux cernés, je ne me reconnais parfois plus. J’ai mal partout ce matin, mal aux muscles, aux articulations, au ventre. Mal à l’âme, certainement.

Ya rien de grave. Reste que.

 

Et il est dur ce début d’année. Long, après l’automne qui n’en finissait plus. Long, après l’année immense, folle et merveilleuse qu’on vient de traverser. J’hiberne, doucement. Dans le cocon, la mutation.

J’en ai connu des mues, et c’est à chaque fois comme une peau qu’on arrache ; je me sens nue et vulnérable jusqu’à ce que l’épiderme se désensibilise, j’espère que c’est la dernière, et puis, non. Les cycles, on a dit, les cycles et la spirale s’accélèrent, alors c’est normal qu’en plein Éveil je souffre un peu, ça fait partie du processus, c’est normal que la vie nous rapporte sans cesse des marées semblables, c’est pour être sûr qu’on a tout bien compris, réglé, nettoyé ; c’est normal qu’on change de coquille entre les transitions, ça s’appelle grandir.

Mais criss que ça fait mal. Et que je sais pas quoi faire, de toute cette délicatesse.

J’ai même pas de raison. Le vague à l’âme et l’hypersensibilité qui s’expriment, un rien m’écorche, me brusque, me déstabilise. Vata partout, Pitta nulle part, j’ai besoin du feu et de l’eau pour me nourrir, je me sens sèche, cassante, fragile, et beaucoup trop de vent qui tourbouillonne.

J’ai rien d’autre à faire que d’accueillir cette petite fille. Et la patience, qui m’est étrangère.

On m’a dit, lâche prise, accueille, attends.

Alors j’écris. J’écris les mots qui ne tournent pas rond, j’écris les peurs, les blessures, j’écris à mon corps qui ne répond plus, j’écris à mon ventre qui ne saigne plus depuis des mois, j’écris à l’Enfant qui s’exprime, j’écris à la Femme que j’ai délaissée. J’écris, j’écoute, je deviens.

 

Quelque part en mars et janvier, je suis devenue croyante. Parait que c’est la Lune. Ou un grand glissement. On change d’ère. Le Verseau, le Sacré, les louves, aussi. Je sais plus. Ya comme des étoiles qui sont apparues au bout de mes doigts et des courants d’espace dans mes mains, j’ai senti les vibrations caresser ma peau, j’ai vu des couleurs par moment, des images, des émotions qui ne m’appartenaient pas, j’ai brisé les tabous, les croyances, et j’ai plongé la tête première.

Je sais pas comment en parler, ni quoi dire. C’est là, dans ma face, et je veux l’embrasser à bras ouverts jusqu’à ce que ça me colle, sur la nouvelle peau, jusqu’à ce que ça soit confortable, si ça l’est un jour, jusqu’à ce que tout se place et que j’y trouve un sens à nouveau. J’y vais.

J’ai peur.

 

 

 

 

 

en fait.

je suis terrorisée.

Développement(s) personnel(s)

polyamour 102 – polycule et adaptations

Alors concrètement, le polyamour, ça se passe comment ?

Et bien, ça dépend.

(je sais)

Chaque relation est unique, et il n’y a pas une façon d’être polyamoureux, mais autant d’accords relationnels et de manières de vivre le polyamour que de relations. Il y a des solo-polys, des anarchistes relationnels, des triades, des relations primaires, secondaires, des « nesting » partners… et autant de définitions* que de personnes utilisant ces étiquettes.

Si les réflexions abordées dans mon premier article peuvent rejoindre beaucoup de monde, les déclencheurs à devenir polyamoureux sont multiples. Dans mon cas, il était évident depuis plusieurs années que je ne voulais plus être dans un mode relationnel exclusif. Cela fait partie d’un cheminement personnel et d’une réflexion sociale, qui m’ont amenés à emprunter un mode de vie alternatif à différents niveaux, dans lequel je me retrouve plus que le modèle conventionnel/normatif. J’ai des ami.e.s qui à l’inverse ont décidé d’ouvrir leur couple après 10, 15 ou 20 ans de relation exclusive (plus ou moins) conventionnelle, des enfants, un mariage, etc. Certain.e.s étaient libertins et ont simplement glissé vers le polyamour en ouvrant la possibilité d’engagement romantique. D’autres ont vécu des aventures et ont décidé de ne pas se séparer mais de repenser leur couple à partir de là. Et ce ne sont que quelques exemples…

Dans une même relation, avec les mêmes partenaires, cela peut aussi évoluer. De ce que j’observe, dans mon expérience ou celle de mon entourage, que le plus important pour une relation saine c’est de garder la communication ouverte, et de se donner la possibilité d’adapter constamment le cadre dans lequel la relation et les personnes impliquées évoluent. Ce qui est établi à un moment donné ne sera peut être plus valide 3 mois plus tard. Ce qui fonctionne avec un.e partenaire sera peut être inadapté pour une nouvelle relation. Enfin, si on veut que la relation perdure, grandisse, et reste satisfaisante, il est nécessaire que tout le monde se sente confortable et sécure.

Ainsi que je l’expliquais dans mon premier article sur le sujet, le polyamour est basé sur des valeurs de transparence, de consentement mutuel, de respect et de bienveillance, qui permettent – et je dirais même, sont garantes – de construire et entretenir la confiance nécessaire à ouvrir un couple, et d’apprendre à gérer le monstre qui fait peur à tout le monde en s’engageant sur ce chemin : j’ai nommé  la jalousie.

Plus concrètement, on s’assoit avec saon partenaire et on discute. On discute d’envies et de désirs, mais surtout de triggers (déclencheurs), de limites, de moyens d’être rassuré, de gestion de crise. On essaye d’être à l’écoute, de soi et de l’autre, et de définir un cadre dans lequel on est confortable d’évoluer pour explorer l’ouverture de la relation de la façon la plus sécurisante possible pour tou.te.s les partenaires.

Par la suite, on adapte alors que d’autres partenaires sont impliqué.e.s. Le groupe relationnel ainsi formé est appelé polycule, un ensemble comprenant tou.te.s les partenaires directs, métamours (partenaires de notre partenaire), et parfois même des personnes avec qui on est pas en relation amoureuse mais qu’on considère faire partie de nos proches. Un peu comme une famille recomposée.

Partant du fait que chaque relation – et chaque polycule – est unique, il m’est difficile de vous expliquer concrètement à quoi ressemble une relation poly tant il y existe de façons de procéder : les poly « kitchen table » (table de cuisine) aiment rencontrer les partenaires de leurs partenaires, parfois même le polycule devient un groupe d’amis, et se retrouve pour faire des activités ensemble (c’est un peu mon cas et celui de mes ami.e.s). La règle du « don’t ask don’t tell » (on demande si on veut savoir), pour laquelle les partenaires ont le droit de voir d’autres personnes, mais n’en parlent pas si le sujet n’est pas abordé. Il y a les « solos-polys« , qui ne souhaitent pas être « en couple », et vivent plusieurs relations parallèles non hiérarchisées. Il y a des relations à trois (triades) où chacun.e est engagé.e romantiquement et sexuellement avec les deux autres partenaires, peuvent vivre sous le même toit, parfois même ont des enfants ensemble. Ce modèle est souvent représenté dans les médias lorsqu’on parle de polyamour. On parle de « nesting partner » (partenaire de nidification) pour une relation qui intègre une notion d’engagement matériel/familial : élever des enfants, vivre ensemble, partager une responsabilité financière comme un emprunt immobilier. Ce type de relation se rapproche des modes conventionnels, mais n’empêche pas la possibilité d’autres relations parallèles. Les nesting partners peuvent même ne plus être dans un rapport romantique/amoureux et conserver leurs engagements.

Il n’y a donc pas un modèle relationnel idéal. C’est à chacun de créer et trouver son équilibre, sa zone de confort, et faire évoluer sa relation au rythme qui conviendra à tout le monde.

Le polycule de Kimchi Cuddles

L’exemple de mon polycule : 

J’ai d’abord été en relation ouverte avec D. Dans ce contexte, nous avons rencontré J., et cette relation s’est transformée en triade. Une relation amoureuse à 3, qui a malheureusement subi de grosses contraintes car j’étais en plein burn-out, et que j’avais beaucoup de mal à gérer mes émotions. La triade n’a pas duré, et il est resté 2 relations : D. et moi, et J. et moi. Pour diverses raisons, D. et moi avons fini par nous séparer (ce n’était pas directement lié à l’ouverture de notre couple mais ça a mis en valeur certains stress et problématiques), puis J. et moi avons mis fin à notre relation de « couple » pour transitionner vers un autre type de relation.

J’ai ensuite commencé à fréquenter E. J. était déjà dans ma vie à ce moment, et E. a intégré et accepté cette relation préexistante.

Plus d’un an plus tard, je suis toujours en relation avec J. et E., que je considère tous les 2 comme des partenaires « principaux ».

E. est mon partenaire amoureux, notre relation ressemble globalement à n’importe quelle relation amoureuse classique. On ne vit pas encore ensemble, mais on a des projets de vie commune, voyager, acheter, faire des enfants. Il est mon nesting partner.

J. est mon « amiereuse », pour définir une amitié romantique. On a découvert ce terme qu’on trouve très pertinent pour notre relation. On vit ensemble (en colocation), c’est ma meilleure amie, ma confidente, mon meilleur soutien moral, et réciproquement. On se fait des câlins, on dort parfois ensemble, on a aussi une intimité sexuelle de temps en temps. On envisage de continuer à vivre ensemble, avec E., et de coparenter (élever nos enfants ensemble). C’est une relation qui a beaucoup moins de pression qu’un couple « classique », vu de l’extérieur on est comme des meilleures amies, mais avec quelque chose en plus – par exemple on se consulte pour les décisions importantes qui peuvent impacter l’une et l’autre, on communique sur nos insécurités liées à notre relation, on s’organise des dates, on se chicane, et on a parfois des crises relationnelles… En quelque sorte, J. est aussi une nesting partner, mais avec moins d’engagements. 

J. et E. sont amis et on fait régulièrement des activités ensemble tous les trois et avec notre groupe d’amis. 

Lorsque je rencontre et/ou souhaite fréquenter une nouvelle personne, j’en parle avec les deux. Avant les fêtes, j’ai rencontré quelqu’un d’autre, ce qui a amené à discuter des insécurités de E. et J. par rapport à cette nouvelle relation, et à adapter le temps et l’énergie dédiés à chacune des relations. ((edit de juin 2018 : cette relation est terminée mais j’ai d’autres partenaires occasionels ou réguliers)). Ces autres partenaires sont bien évidemment au courant de l’existence de E. et J. 

Depuis quelques mois aussi, J. est en couple avec D. Mon amiereuse sort avec mon ex, et ça se passe très bien. Ça nous a permis, à D. et moi, de se retrouver, comme amis. Cela a aussi amené des changements plus importants dans la dynamique relationnelle entre J. et moi, mais tout va bien. 

De plus, il arrive que nous ayons des partenaires occasionnels.

Mon polycule

Tout ça semble bien compliqué, mais les rapports sont en réalité assez fluides. Évidemment, cela requiert une certaine organisation : nous utilisons des agendas partagés pour savoir qui est dispo quand, et trouver des moments pour se voir. Chez certain.e.s polys, partager son agenda est un peu le symbole d’un engagement relationnel (aka : ça devient assez sérieux pour que tu saches ce que je fais de ma vie ^^).

Comme on peut aussi le lire ici, cela ne signifie pas que nous démultiplions les partenaires à l’infini « parce qu’on peut ». Le monde a beau être un terrain de jeu immense de potentielles futures relations, le principe reste de pouvoir « satisfaire » et respecter tout le monde – et avant tout, de se respecter et s’écouter soi-même. Lorsqu’un.e partenaire souhaite entamer une nouvelle relation, on en discute, on parle de nos peurs, des limites avec lesquelles on est à l’aise, des étapes. Si l’Amour est une denrée illimitée (oui oui), le temps et l’énergie de chacun ont des limites.

Gérer une seule relation demande du temps et de l’énergie, il est donc mieux de garantir une certaine stabilité émotionnelle et relationnelle avant de décider d’ouvrir son couple – car si une chose est sûre, c’est que le polyamour finit par déterrer tous les malaises, frustrations, insécurités, blocages, vulnérabilités… de chacun. Impossible de se voiler la face longtemps et espérer que ça tienne. Malgré son apparence de « solution miracle », le polyamour n’EST PAS une solution viable à tous les problèmes de couple, et être en relation poly demande d’énormes investissements personnels et émotionnels.

La bonne nouvelle, c’est que si on est ouvert.e, prêt.e à travailler sur soi, et qu’on a la chance d’avoir un.e partenaire bienveillant.e, c’est un chemin incroyablement enrichissant.

À lire :

*un petit glossaire du vocabulaire polyamoureux chez mon amie Hypatia : http://hypatiafromspace.com/glossaire-vocabulaire-polyamoureux/

LA référence en matière de polyamour : le site More The Two https://www.morethantwo.com , dont les auteurs ont aussi publié un livre

Les articles sur le thème communication chez Hypatia : http://hypatiafromspace.com/theme/communication

Une présentation de la communication authentique/non violente (sous titres en français dispos)

 

 

 

 

Développement(s) personnel(s)

polyamour 101

Alors voilà, je suis polyamoureuse. C’est plus vraiment un secret aujourd’hui et j’en parle facilement, mais la vérité c’est que la plupart des personnes ne comprennent pas exactement ce que ça signifie. Pour être honnête, j’ai été la première à avoir des a priori sur ce qu’est le polyamour, et à ne pas me reconnaître immédiatement dans cette vision des relations.

À force d’en parler autour de moi, il m’a semblé que ce serait une bonne idée d’en parler plus ouvertement sur mon blogue, et pourquoi pas de faire une petite série d’articles sur le sujet, en fonction des questions et commentaires. Le terme est aussi de plus en plus utilisé, et autour de moi nombreu.ses.x sont les personnes à se questionner sur le modèle de couple hétéro-normatif exclusif/monogame.

**À noter** Je souhaite préciser que l’avis exprimé ici reste le mien : ma vision de ce qu’est le polyamour, comment je l’interprète, via mon expérience personnelle de cisfille bie à tendance hétéro. Il est évident que certain.e.s ne se reconnaîtront pas dans là-dedans, même si je souhaite définir et reconnaître un polyamour inclusif et fluide. Aussi je vais m’efforcer d’utiliser le plus possible l’écriture inclusive. 

Polyamour, donc.

La première chose que je souhaite mentionner, c’est qu’être polyamoureux, n’est pas une orientation sexuelle (homo-bie-asexuel etc), mais un choix. À mon sens, le polyamour est une vision des relations suivant plusieurs valeurs, à savoir : la liberté, l’honnêteté, la  bienveillance, le respect, et l’équité. Tout ceci concerne tou.te.s les partenaires impliqué.e.s, et se passe idéalement dans un cadre de communication authentique.  Je reviendrais plus tard sur ces valeurs et ce que ça signifie pour moi. Comme pour le féminisme*, une fois qu’on a ouvert son esprit à certaines (remises en) questions, on réalise à quel point notre vie amoureuse et nos relations en général sont impactées et contraintes par des constructions sociales, une éducation, un modèle imposé par la société. Être polyamoureux, c’est reconnaître et partager ces valeurs, et les appliquer au sein de sa/ses relations.

Être polyamoureux, ce n’est pas forcément avoir plusieurs relations, coucher avec plein de gens, ni être en amour avec tout le monde.

Être polyamoureux, ce n’est pas tromper saon partenaire.

Être polyamoureux, ce n’est pas être libertin, échangiste, polygame, … même si, en quelque sorte, ces modes relationnels peuvent être inclus dans le polyamour sous réserve de respecter certaines valeurs (c’est là que ma vision est assez large et risque de choquer certain.e.s poly)

Être polyamoureux, ce n’est pas forcément être en triade femme-homme-femme, malgré les nombreuses représentations de ce type d’arrangement relationnel.

Être polyamoureux, ce n’est pas « ne pas être jaloux ». La jalousie, comme de nombreux sentiments s’ils sont exprimés et gérés correctement, a sa place dans une relation polyamoureuse.

Enfin, être polyamoureux « actif » ce n’est pas pour tout le monde, mais je crois que n’importe qui pourrait trouver de merveilleux outils de gestion relationnelle et sujets de réflexion en se penchant un peu sur la question.

Fred Gingras

Alors, comment on devient polyamoureux ? 

 

Pour moi, le premier pas vers le polyamour serait de reconnaître et admettre quelques points concernant nos relations modernes, à savoir :

– Nous ne sommes pas exactement des animaux monogames (ou bien plutôt des monogames en série pour notre nouvelle génération) : l’Amour-passion exclusif à long terme dans le cadre du mariage est le fruit d’une construction sociale, mais aussi et surtout, qu’il est naturel, et pas malsain, d’avoir une attirance sexuelle (et pourquoi pas amoureuse) envers quelqu’un d’autre que notre partenaire principal.e. (Olala, les gros mots.)

– On ne possède pas une personne. Malgré ce que la culture populaire (sexiste, ajouterais-je) nous inculque, les désirs et actions de l’être aimé ne nous appartiennent pas, et ce quelle que soit la puissance des sentiments partagés.

– Il est difficile voire impossible de satisfaire tous ses besoins et désirs, qu’ils soient affectifs, sexuels ou autres, avec une seule personne.

De mon point de vue, la monogamie et les relations exclusives ne sont qu’une forme d’ententes relationnelles parmi d’autres. Je ne pose pas ici de jugement contre celleux qui choisissent ce type de relations, qui le respectent, et sont heureu.x.ses là-dedans. Il y en a, j’en ai fait partie, et j’ai beaucoup d’estime pour celleux qui s’y épanouissent. Il est certain qu’être en relation non exclusive amène son lot d’insécurités, de remises en question, de doutes, de problématiques diverses, et je respecte infiniment celleux qui reconnaissent ne pas pouvoir faire face à ces vagues là.

Je critique simplement l’illusion que nous donne notre éducation, de penser qu’il n’y a qu’un seul modèle viable et valide, et la construction sociale qui nous a appris que coucher avec un.e autre, ou même fantasmer sur un.e autre va amener un désastre et mérite un cruel châtiment.

Je crois alors que le polyamour est une façon de sortir de la boite, de voir plus large, de ré-envisager les relations, d’apprendre à gérer des émotions complexes telles que la jalousie, et surtout l’occasion d’amener des changements profonds dans nos relations aux autres et à nous-même.

Je m’arrête ici pour ce premier volet. Dans le prochain article, on entrera un peu plus dans le vif du sujet : comment ça marche, concrètement ?

Lire le post suivant : polyamour 102 – polycule & adaptations

 

En attendant, voici quelques liens pour approfondir le sujet :

Un super podcast très court sur le polyamour (France Culture) https://www.franceculture.fr/conferences/quest-ce-que-le-polyamour

Les Tedtalk d’Esther Perel sur le désir dans le couple moderne, qui ont grandement influencé mon cheminement vers le polyamour (on peut mettre les sous-titres en français)

*Je mentionne le féminisme, car je crois que le modèle normatif exclusif est très sexiste. En ce qui me concerne, être polyamoureuse est un choix politique et féministe (je reviendrais éventuellement sur ce point).

Chroniques

les cycles

Ça y est. On y est. Au bord de 2017, au bout, presque. On aperçoit 2018, à quelques jours de là. Mystérieux, brumeux, inconnu.

Dans ces périodes de dates « clés », que ce soit un changement d’année, un anniversaire, le mien ou celui d’un événement marquant, j’ai souvent tendance à « faire le point ». Où et qui étais-je à cette même date, il y a un an, deux ans, plus ? Qu’est-ce qui a changé ?

Parfois, l’impression de tourner en rond m’assaille. Ce sentiment désagréable de revivre les mêmes choses sous différents aspects, d’être coincée dans une boucle sans parvenir à me défaire de mes patterns, de revivre les mêmes histoires, de repasser au travers de situations similaires.

Mes relations amoureuses, par exemple, suivaient jusqu’à l’an dernier un cycle très familier. 2-3 ans de relation. Rupture. 2-3 ans de « célibat », avec une relation de quelques mois qui m’apprend énormément. À nouveau, une relation de 2-3 ans. À nouveau, rupture. Célibat. Relation de transition. Relation engagée de 2-3 ans. Etc. Jusqu’à ma rupture avec le Mari à l’automne 2016, et le début de ma relation avec le Barbu peu de temps après, qui vient bousculer cette rythmique.

 

Une prof merveilleuse m’a raconté cette année que d’après des approches du monde ancestrales comme l’Ayurvéda ou le chamanisme, nous sommes effectivement voués à revivre des patterns, des cycles. Pourtant, nous ne tournons pas en rond.

Notre vie s’apparenterait plutôt à une spirale. Vous savez, ces spirales de papier qu’on étire et qui deviennent un cône ? Voilà.

J’aime cette conception. J’aime à penser que l’Humanité a créé le temps, les années, pour concrétiser les cycles naturels. Les saisons, les Lunes, les Années, et pour pouvoir observer l’évolution de nos cycles, à nous.

J’aime à croire qu’on revit les mêmes situations, d’une vie à une autre, pour apprendre, et peut être réussir à s’en sortir au bout du compte.

Alors, d’une année à l’autre, j’observe.

Qui étais-je. Où étais-je. Qui suis-je.

Plutôt que de me laisser tromper par les apparentes similitudes, ou me concentrer sur mon échec à remplir ma « to-do list » de résolutions qui me laisseraient croire que je n’ai pas avancé, je fais un état des lieux du positif.

Qu’est-ce qui a changé ? Qu’ai-je accompli ? De quoi suis-je fière ?

Ce sont parfois de petites choses. Parfois des accomplissements si faciles et si « assumés » qu’on ne les compterait pas comme réussites. Parfois, c’est la vie qui nous a poussé hors de la zone de confort. Parfois, c’est un heureux hasard, une opportunité qu’on avait pas envisagée et qui s’est présentée.

Et ça fait du bien, d’être bienveillante envers moi-même, de reconnaître toutes ces réalisations, ces pas plus ou moins grands.

 

En 2017, …

Je suis partie seule (!) en retraite de yoga (!!) aux Bahamas (deux premières)

J’ai fait une double tendinite (ouin), et j’ai quitté le spa où je ne m’épanouissais plus pour travailler à mon compte (yeay)

Je suis en relation polyamoureuse avec le Barbu depuis un an

J’ai emménagé avec mon amiereuse

J’ai fait 3 formations en massothérapie et d’innombrables apprentissages dans mon cheminement personnel

J’ai découvert le shibari, et continué à explorer ma sexualité

Le Mari est revenu dans ma vie, par la plus douce des manières. J’ai éprouvé de la compersion

J’ai appris à exprimer mes émotions, à poser mes limites. J’ai géré plusieurs crises d’anxiété, les miennes, et celles de mes proches

J’ai fait un beau séjour en France

J’ai dansé, massé, touché, connecté de manière de plus en plus authentique et intime avec les gens. Je pense que, volontairement ou non, j’ai impacté positivement plusieurs personnes

J’ai mangé moins de viande, et consommé de manière plus responsable en achetant local, sans emballage, de manière consciente

J’ai fait un 7e tatouage

J’ai pratiqué le yoga, j’ai médité, j’ai ressenti, j’ai écouté. Je suis en plein éveil. Parfois, ça a été douloureux, mais surtout magnifique et fascinant. J’ai hâte de la suite

J’ai fait des rencontres, riches, surprenantes, merveilleuses

Je me suis aussi rencontrée moi.

 

Et toi ?

Intime & Réflexions

la délicatesse

J’écris plus. Ici, j’écris un peu ailleurs, parfois. J’écris plus, je poste plus tant de photos sur IG, je partage moins ma vie sur les internettes, hormis peut être twitter.

J’écris plus, j’ai perdu la routine et l’entrainement pour trouver la musique originale des mots. Je suis occupée, souvent, je suis moins sur mon ordi surtout. Ma vie est un si beau tourbillon depuis des mois, si doux, si joli, si plein de ces personnes merveilleuses et du printemps sans fin, de l’été pas si chaud, de Montréal, de musique, de nuits blanches, de lacs, de forêts, d’avions, aussi.

J’écris plus parce que j’ai plus grand chose à dire, j’ai moins de mots qui circulent dans ma tête et demandent à sortir. Je les vis, les choses, dans mon corps et ma peau.

En fait si j’aurais tant et tant à raconter, mais ce serait si long, et si compliqué de trouver les mots justes, les mots qui disent « je suis heureuse, je suis centrée, je suis enfin« . Et aussi, je suis amoureuse, follement, je les aime plusieurs, et tou.te.s à la fois dans leurs beautés singulières, et je fais l’amour avec mon corps mes yeux mes mains mes mots et toute cette vie qui brûle en dedans. Je suis passionnée, si passionnée de ce métier qui me remplit et m’apporte tant. Je suis libre, surtout. Libre comme j’ai jamais été, libre d’être moi toute entière, libre d’aimer, de dormir, de vivre, de baiser, de dire non et stop, libre d’exister.

Au travers d’eux, de moi, de nous, au travers des mois qui s’écoulent et des changements d’heure, j’ai eu 31 ans. Je grandis encore chaque jour un peu plus. Je change, ou plutôt, je me découvre.

Dans ces nouveaux paysages, je me promène. J’expérimente des sensations inconnues, je développe des réflexions, je m’observe et j’apprends des autres, aussi, doucement, je me mets à croire pour vrai en mes rêves. Et puis il ya ce sentiment étrange. Plus j’avance, plus j’accumule de certitudes et d’évidences. Et pourtant, plus j’avance, et plus j’accède à l’immensité de tout ce que je ne sais plus.

Je plume. Couche par couche, des mues successives qui s’arrachent parfois dans les cris, la douleur et les respirations. Renaissances infinies, je me sens parfois si vulnérable, et si nue sans ma peau dure et mon armure de contrôle. J’acquiers l’équilibre tandis que le chaos achève de me (dé)construire. Et je me vois alors, enveloppée d’un litre d’huile chaude sous les mains d’une présence chaleureuse, je me vois, si fragile.

Je suis fragile. Je me répète, presque nue sur cette table. Je suis fragile, et si vulnérable, et sensible, et c’est là toute ma force et ma faiblesse à la fois. Je perçois l’autour avec tant de violence, je dois mettre mes limites – ces fameuses limites qu’il m’a fallu apprendre à concevoir, établir, puis à poser – mais comment se protéger dans un monde de grandes personnes et de responsabilités ? Comment faire savoir qu’on est multiple, force et fragile, sérénité et mouvement, transformation constante, éponge empathique, hyper intuition, déstabilisation facile ?

C’est peut être votre évidence. Pour moi, c’est encore un effort à chaque pas. Accepter cette vulnérabilité, m’ouvrir, apprendre à percevoir, à recevoir, pour mieux accompagner les autres à trouver les portes et leur propre cheminement sans trop m’impliquer, et surtout, ne pas me perdre, là-dedans. Me fabriquer ce cocon qui me permet d’exister au dehors. Reconstruire autour de moi la peau qui s’est parfois violemment arrachée sous la tempête, les coups et les émotions.

Le mot-clé c’est bienveillance, et authenticité, et on est quelques uns à en avoir fait notre philosophie. On est un petit tas qui se serrent les uns contres les autres, la nuit pour se tenir chaud. On est une bande de doux rêveurs et d’hypersensibles qui croyons qu’on peut créer pour vrai le monde utopique qu’on s’est inventé. On est cette bulle Bizarre au milieu du vrai monde.

C’est eux, mon fuel, mon île, mon espace sûr. C’est eux, mes amants, mes amours, mon polycule.

C’est parmi eux, multiples, que je me tiens désormais debout.

Mots par Fred Gingras

Au quotidien

l’odeur de l’intime

Je m’étais dit que j’allais écrire sur mon métier. Vous raconter pourquoi je l’aime, cette job. Ses bizarreries, ses spécificités, la passion derrière tout ça.

Ça fait longtemps que j’y pense à ce post (et en fait, j’ai commencé ce brouillon il y a plus d’un mois). Mais comment raconter ? Par où commencer ? Qu’expliquer ?

D’abord, je voudrais vous parler des gens. Parce qu’il s’agit d’eux, après tout.

Des inconnus de tous genres, tous âges, originaires d’un peu partout. Il y a les bavards, et les taiseux. Les grands, les maigres, les vieux, les costauds, les tatoués, les parfumés, les rasés de près. Il y a des ingénieurs, des médecins, des gars de la construction, des patrons, des consultants, des ouvriers, des carrossiers, des retraités, des restaurateurs, des mères au foyer, des licenciés, des profs, des marketeux, des artistes et même parfois des gens sur le BS*. Il y a des jeunes couples et des vieux célibataires. Des femmes enceintes. Des jeunes parents. Il y a celui qui vient pour décompresser de sa semaine de job, celle qui n’a pas pris deux minutes pour elle depuis 6 mois, celle qui a mal partout, mais surtout entre les omoplates, celui qui vient « voyager », celui qui n’a plus personne dans sa vie depuis trop longtemps et qui a besoin d’affection. Il y a des Québécois, des anglophones, des Égyptiens, des Libanais, des Français, des Asiatiques, des Latinos, des Haïtiens, et même des métisses autochtones. Il y a les sensibles qui prennent peu de pression, et ceux qui veulent sentir que ça travaille. Les pudiques. Les curieux. Les agaçants. Les attachants. Les anxieux. Les confiants. Les réceptifs. Les émotifs. Les expressifs.

Des inconnus avec qui, en quelque sorte, je partage une heure, une heure et demie, deux heures d’intimité. Des inconnus qui, au fil des rencontres, deviennent des familiers.

Je les écoute me raconter où ils ont mal, comment ils se sentent, le stress à la job, les histoires de leur chat, de leurs enfants, de leurs prochaines vacances, leur dernière soirée. Parfois plus. Parfois, ils ne disent rien, et c’est leur corps qui parlent, et c’est souvent tout ce qu’il nous faut pour créer le moment.

Ce moment, toujours unique, toujours différent. Être là pour eux, en bienveillance, en écoute, en présence. Soulager les bobos du corps, ces petites douleurs et vieilles blessures qui les amènent à s’allonger sur ma table. Mais surtout tenter d’atteindre un peu plus loin ce qui se trouve sous la peau. Le stress, la fatigue, les émotions. On vit dans ce monde à 1000 à l’heure, poussés par la pression et les responsabilités. On traverse nos journées sans se ressentir, sans s’écouter, sans prendre le temps de s’arrêter pour savoir où on en est, ce qu’on vit, ce qui nous ferait du bien. Alors doucement, alors que je pose mes mains sur eux et travaille les tensions et les adhérences, le souffle s’approfondit. Le corps et l’esprit se relâchent. Et je vois leurs visages qui ont soudain perdu 10 ans. Je vois le poids s’alléger sur leurs épaules. Les soucis s’évaporer, pour un moment du moins. Et le soulagement infini qui se dessine dans leurs regards alors que j’annonce que le massage est terminé.

Voilà pourquoi j’aime ma job, voilà pourquoi, au delà d’un métier, c’est une passion. Il y a si peu de moments dans notre quotidien durant lesquels on s’arrête, et on se laisse aller pendant une heure ou plus, qu’on se donne l’autorisation de se laisser prendre en charge complètement. Il y a très peu de moments où, centimètre par centimètre, une autre personne touche notre corps, la surface de notre peau, dans son entièreté ou presque. La plupart du temps, quand on va voir un professionnel de la santé, on cherche une guérison, pas simplement à se faire du bien.

J’aime ma job pour la reconnaissance immense que me donnent mes clients. Pour le bien-être que moi aussi je retire à donner, certes, mais recevoir tout autant.

Voilà deux ans, j’ai décidé de suivre une formation pour devenir massothérapeute (note : au Québec on ne dit pas masseuse, qui est réservé aux salons de massage érotique qui existent un peu partout à Montréal), et un peu plus d’un an que j’ai officiellement décidé d’abandonner mon ancienne carrière de marketeuse au profit de la masso. Il y a 1000 raisons qui expliquent ce choix, le premier étant certainement une évidence étrange : ce n’est pas moi qui ait choisi la masso. C’est la masso qui m’a trouvée.

Toucher des gens. Le contact. La peau. L’intime. Je suis faite pour ça.

Lorsque je masse, c’est comme méditer. Je suis dans le moment, dans le corps de l’autre, dans ses aspérités ses formes ses noeuds et ses déliés. Je suis et j’écoute l’énergie qui se dégage, la chaleur, les vides, les pleins.

Lorsque je masse, ça me fait du bien. Il m’arrive de rentrer travailler avec le coeur et la tête lourde, les jours sans avec leur lot de tristesse, de colère et de fatigue. Et quitter le soir, épuisée mais remplie d’une énergie nouvelle, le sourire aux lèvres, le coeur riche surtout.

Bien sûr, il y a de la technique. Savoir utiliser son poids de corps, son hara pour transférer la pression sans se faire mal. Trouver les noeuds, les jitsu et les kyo, travailler en effleurage, pétrissage, foulage, main pleine, paume, pouce, friction, pression ischémique, ébranlement, mobilisation. Et j’en passe. Je sais le nom et le dessin des muscles, la position des organes, les trajets nerveux, quelques méridiens. J’utilise des huiles essentielles, des baumes de massage, du gel bio.

Pour le reste, je travaille le plus souvent à l’intuition. Je sens, mes mains et mes avant bras sont les outils qui savent comment apprivoiser la peau, les muscles, les fascias. Et j’écoute. Je ressens. Je respire.

Le massage est comme une danse. Comme une longue conversation. Comme un partage intime. Un donneur, un receveur, un échange d’énergies. Parfois, la connexion s’installe et on vibre ensemble, parfois, il faut faire tomber les barrières, les réticences, les appréhensions. Parfois, il ne se passe rien. Parfois, on se laisse aspirer.

La massothérapie m’a ouvert la porte d’un univers infini. Depuis 3 ans, je suis en constant apprentissage, tant sur le plan des connaissances, sur des notions énergétique, psycho-corporel ou biomécanique, que sur moi-même. Moi l’hypersensible, j’ai trouvé comment canaliser mon énergie, comment trouver de la reconnaissance dans mon travail, comment utiliser mes qualités relationnelles.

Ce n’est pas un métier facile. On me dit souvent, ça doit être dur. Ça l’est. Physiquement. Mentalement. On donne beaucoup, il faut constamment être à l’écoute de soi pour se rééquilibrer, ne pas se brûler. Mon corps est mon outil de travail, alors je dois être en forme sous peine de me blesser. Je suis travailleur autonome, je n’ai pas de congés payés, pas d’assurance emploi ni de jours maladie. Mais j’ai ma liberté, la flexibilité d’horaires, la reconnaissance de mes clients. J’ai surtout la chance de vivre de quelque chose qui me passionne. Alors oui, on peut s’épanouir dans son travail, tout en étant capable de payer son loyer. C’est mon choix et j’en suis fière, je travaille fort pour gagner confortablement ma vie, et je me souhaite de pouvoir continuer encore longtemps comme ça.