Au quotidien

strange war

– On ne peut pas se voir ce week end, tu sais bien, les transports sont complètement bloqués.

Elle habite à  trois cent kilomètres de Paris, et c’était son anniversaire, mais nous n’irons sûrement pas. Les TGV ne roulent plus. Les voitures en panne sèche, échouées sur les bords des routes dans une dernière tentative de faire quelques courses. Pour les provinciaux, cela fait déjà quelques jours que tout s’est figé. Quelques bus municipaux assurent encore les trajets entre les villages les plus isolés et les centres villes, mais la plupart des gens se sont résignés. Enfermés chez eux avec les quelques boites de conserve qu’il leur reste, et les légumes de leur potager. La plupart ont cessé d’aller travailler, les enfants ne vont plus à l’école – de toute façon les derniers profs qui ne faisaient pas grève ne peuvent plus venir, et on se contente de prendre des nouvelles de l’extérieur via Internet et le téléphone. Les gamins sont heureux, on a regonflé les chambres à air des vélos, les routes sont vidées, ils se retrouvent sur les terrains de foot du village pour jouer.

A Paris, on commence à ressentir la pénurie. Il est devenu difficile de trouver un taxi, surtout la nuit, et les bus de la RATP commencent à donner signe de faiblesse. Si la grève et le « service minimum » a permis de tirer sur les réserves, la plupart des particuliers ont remisé leur voiture au garage – pour ceux qui en ont. Les métros roulent toujours, et c’est chaque matin l’émeute pour trouver une place dans les rames bondées. Malgré l’arrêt pratiquement complet des RER, dans Paris, on circule encore. Velib et scooters à trois, voire quatre personnes, tout est bon pour se déplacer. Car on continue à travailler, malgré le bruit des manifs et les barricades des lycéens qui se sont étalées jusque dans les rues. La journée, ces derniers se caillassent face aux flics, des files de camions de pompier sont pris d’assaut par les usagers qui trouvent injuste que la fonction publique – pourtant gréviste majoritaire – aie encore accès au carburant.

C’est déjà l’hiver. Chez certains qui ne s’y sont pas pris à l’avance, il n’y aura pas de fioul. Pas de chauffage. Pas d’électricité. On commence à se dire ne verra pas la famille à Noël faute de pouvoir voyager. Le pays est bloqué. Seul quelques TGV chaque jour, plus aucun avion. Dans les aéroports vides, quelques touristes russes, plus une rouble en poche, squattent les bancs faute de pouvoir dormir ailleurs. En attendant que ça passe.

Ca.

On est en France, et si ce texte est un genre de « what if…« , le fruit de mon lâchage imaginatif sur ce que ça pourrait donner d’ici… pas si longtemps.

En ce moment, à Paris, on entend que les bruits assez flous des conséquences de cette grève. Mais tout se rapproche, la pénurie de carburant semble bien réelle, de moins en moins de TGV circulent  et certains collègues restent chez eux en télétravail à cause des problèmes de RER. On me raconte les lycéens qui montent des barricades dans les rues, et les vols annulés. Internet se charge du reste, twitter et autres relais d’actualité. Hier c’était Nanterre où lycéens se battaient contre des flics casqués, demain, qu’est ce que ce sera ?

J’ai l’impression de ne pas être en France. Que ces news n’ont rien de réel. Pourtant. Tout ça pour quoi ?

Les retraites, la réforme. Et en filigrane, un rejet du gouvernement actuel.

Bon.

Je vais faire un aveu très avouable: plus le temps passe, plus je me sens « apolitisée ». Comme athée de la politique. J’ai voté, une fois. Pour élire ce gouvernement. Parce qu’il fallait se prononcer. Mais loin des débats de l’avant présidentielles, embarquée à l’époque par quelques Sciences Po pro Ségolène et les tendances UMP de mon école de commerce, j’ai fini par me détacher de tout ça.

C’est affreux. Peut être qu’il y a en effet des choses qui se passent en France et qu’on ne devrait pas laisser faire – expulsion de Roms, Hadopi, conditions de détention dignes des pays du Tiers monde… – Et peut être qu’il y a des évolutions qui doivent se faire, naturellement. Peut être qu’il y a une façon de faire (et dire) les choses. Peut être qu’on a un président ridicule. Peut être que l’oposition ne vaut pas mieux.

Tout ça me fatigue. Ces lycéens qui descendent dans la rue, victime d’une image idéalisée des révolutions d’avant – Mai 68. A chaque « saison » sa thématique. Quand j’avais 15 ans, on est allés se promener contre Le Pen, et puis contre la guerre en Irak. Il y a ensuite eu le CPE. Et d’autres. Autant de causes plus ou moins valables, et surtout pour lesquelles les jeunes ne devraient pas se sentir concernés.

Encore une fois, je n’ai pas envie de prendre parti ou de m’engager sur tout ça. Parce que je ne suis pas économiste, ni même au courant des tenants et aboutissants, des pros et con de ces décisions. Mais… franchement. Depuis que j’ai l’âge de comprendre un minimum de choses à l’économie et au système de solidarité français, s’il y a une évidence, c’est bien que non, je n’aurais pas une retraite payée par mes enfants & petits enfants. Que des travailleurs à qui il reste 10, 20 ans à tirer, avec peu de revenus, peu de biens, et un boulot éreintant fassent grève et se battent pour leurs droits, ok. Mais à 15, 16, 17 ans, quand on nous dit qu’on peut crever plus jeune si on fume trop, personne n’en a rien à cirer, mais quand il s’agit de sécher les cours et « s’engager » pour leur « avenir », c’est les premiers.

Pardon, mais tout ça me dépasse. Il y a trop de choses que je ne comprends pas, et ce malgré mon Bac+5 et mes quelques notions de macro économie. Pourquoi c’est toujours les mêmes qui font grève. Pourquoi  ça me semble logique de travailler plus tard si on est encore en forme. Pourquoi j’aime mon job et qu’à 24 ans je me vois encore très loin de le quitter. Pourquoi je considère qu’on vit dans un pays où on a de la chance – beaucoup de chance – avec tous ces droits et ces systèmes de santé, chômage, retraite, arrêt maladie, congé maternité, vacances, RTT, tickets restos, assurances, école publique, fils de riches.

On va s’arrêter là sinon je vais tout remettre en question.

Merci pour l’attention, je retourne dans mon petit monde où tout est rose et gris – Paris. J’ai du travail, et des jours de RTT à prendre avant qu’on ne me les grille au nom des personnes âgées.

NB: je n’entends pas lancer un débat sur qui a tort et qui a raison, sur le bien fondé des grèves, et les tenants et aboutissants de cette réforme et d’autres points sur le gouvernement. je ne juge pas les grévistes et tente de rester loin du discours où « les grévistes font chier tout le monde ». je voulais juste exprimer mon ressenti « complètement paumée » et un peu hallucinée devant tout ce qui se passe, à chaque grève, à chaque mobilisation, et spécialement pour celle ci. pas envie de me fâcher avec mes lecteurs, alors merci d’en tenir compte dans vos commentaires, 😉

15 Comments

  1. Je me retrouve vraiment dans tes pensées, dans tes interrogations, dans ton « apolitisation ». Tu n’es pas la seule dans cette situation. Un des problèmes majeurs, est que les jeunes voient le boulot comme le bagne, comme une punition.. Donnez vous du mal pour faire un métier qui vous plait, et tout sera différent!

  2. Je me retrouve vraiment dans tes pensées, dans tes interrogations, dans ton « apolitisation ». Tu n’es pas la seule dans cette situation. Un des problèmes majeurs, est que les jeunes voient le boulot comme le bagne, comme une punition.. Donnez vous du mal pour faire un métier qui vous plait, et tout sera différent!

  3. J’aime bien ton texte de début… Et c’est vrai que si ça continue, ça risque de faire bizarre… Mais peut-être qu’un jour, les gens se rendront compte qu’à tout bloquer sans réfléchir, ils mettent aussi en péril plein de boîtes qui n’ont rien demandé à personne et qui essayent juste de s’en sortir comme ils peuvent, sachant que leurs salariés sont coincés par les grèves… mais je m’égare aussi…

  4. Eut égard au dernier paragraphe, je vais essayer de respecter au maximum ton avis – après tout c’est ton blog ; pour autant je ne peux pas ne pas réagir à certaines choses.

    Tu dis que tu te sens dépassée par l’orientation politique, économique, sociale que prend l’actualité de ces derniers mois. C’est exactement ce que ressentent beaucoup d’entre nous, car c’est la traduction directe de la crise morale que traverse notre pays depuis le début des années 2000. Oui, le monde économique est de plus en plus illisible ; oui, la sphère politique est de plus en plus recluse sur elle-même ; oui, la majorité gouvernementale noie sous des fausses vérités et de soi-disantes évidences des réformes inutiles et injustes ; oui, le premier parti de l’opposition ne propose rien d’autre qu’une trousse de secours face aux terribles dégâts de la crise du capitalisme.

    Et pourtant, j’affirme qu’il n’a jamais été aussi important que chacun d’entre nous se réapproprie l’ensemble des matières qui font notre pouvoir, à nous le peuple souverain. Non, il n’est pas normal que de grosses parts de la population – a fortiori les plus diplômés – se sentent étrangers aux recettes économiques qui sont appliqués à notre pays. Non, il n’est pas juste de dire aux Français qu’ils n’ont rien compris, que la réforme des retraites – puisque c’est le fond de la question – est incontournable et qu’elle doit être appliquée, même si cela va contre la volonté des trois-quarts et contre les arguments comptables les plus étayés.

    Bien sûr que c’est difficile de s’engager, de formuler les raisonnements, de construire les argumentaires. C’est déjà difficile de s’assurer de son propre lendemain, voilà qu’il faudrait également prendre en charge le bien commun ! Je ne prétends rien. Je veux juste exprimer la chose suivante : nous sommes le peuple français, le peuple de la patrie républicaine, et nous disons : rien ne doit se faire sans nous. Rien ne doit plus nous apparaître « apolitique ». Rien ne doit plus nous forcer à détourner la tête, à baisser les bras, à nous éloigner des « tenants et des aboutissants ». Rien ne doit plus nous motiver à écrire des textes comme le tien, à nous laisser prendre dans cette atmosphère de découragement général.

    Plus facile à écrire qu’à faire ! Et pourtant je crois qu’une telle position est bien plus motivante et peut préluder à un engagement citoyen des plus oxygénant pour l’avenir de ce pays.

    Voilà un point de vue – sans doute trop long – que je n’impose moi non plus à personne. Juste histoire de faire entendre une autre musique !

  5. « Mais à 15, 16, 17 ans, quand on nous dit qu’on peut crever plus jeune si on fume trop, personne n’en a rien à cirer, mais quand il s’agit de sécher les cours et “s’engager” pour leur “avenir”, c’est les premiers. »

    J’adore.

  6. @Papa Sentu dire aux jeunes de faire un boulot quii leur plaise ? on va te renvoyer des histoires d’égalité des chances, d’écoles à 7000€ l’année etc etc 😉
    plus sérieusement, à 17 ans, et même il y a encore 2 ans, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire ! pas évident, donc…
    enfin bon, merci pour ton comm 🙂

    @L-tz merci…

    @Der Sozialist ton commentaire mériterait une réponse plus détaillée et intelligente que ce que je suis capable d’écrire à cette heure ci. juste merci d’être passé, d’avoir lu, d’avoir commenté. dans le fond je suis assez d’accord avec ton propos en fait 🙂
    je reviens demain avec un peu plus de discussion !

    @AbY 🙂

  7. BAh dis donc tu m’as filé le cafard… 🙁
    Je ne suis pas certaine que l’on puisse en arriver à cette extrême, mais avec la connerie de certains, on peut être étonné et déçu…

  8. Je trouve très pertinent le commentaire de Der Sozialist.

    Je voudrais juste réagir à une phrase :
    “Mais à 15, 16, 17 ans, quand on nous dit qu’on peut crever plus jeune si on fume trop, personne n’en a rien à cirer, mais quand il s’agit de sécher les cours et “s’engager” pour leur “avenir”, c’est les premiers.”
    Je me suis rappelée de mes manifs de lycée, celles que je faisais parce que j’y croyais encore, moi qui avais tout juste le droit de vote, j’étais persuadée que le peuple pouvait encore faire quelque chose.
    Alors j’allais manifester contre la loi Fillon (entre autre), parce que je m’étais renseignée, parce que j’avais lu les textes que je n’approuvais pas.
    J’y allais parce que j’y croyais, pas pour sécher. Un jour sur deux, j’allais en cours et le lendemain je me levais pour prendre le bus de Vitrolles à Marseille et aller manifester avec les autres.
    Je préparais mon bac, pour la deuxième fois. J’allais manifester, je payer mon bus et loupais des cours parce que j’y croyais.
    Aujourd’hui, j’ai pas le temps d’y aller : je galère pour trouver du travail, j’ai même pas les moyens de prendre le métro, alors louper un entretien pour quand même payer le métro et manifester, n’en parlons pas… alors quelque part, je suis contente qu’ils se battent, si ils le font parce qu’ils y croient. Ne les met pas tous dans le même panier.

    Toi comme moi, on a 25 ans, on n’y croit plus, on se sent désintéressée, et limite pas « concernée ».
    Moi je trouve qu’il y a un truc qui cloche.

    (sinon bisous câlins pingouin 😉

  9. Oh la vache ! Ben dis donc, ça va mieux ici !
    Moi qui m’inquiétait de ne pas lire de nouvelle depuis le « phoque my day », je vois que ça ne s’arrange pas !
    hauts les coeurs les jeunes, il reste encore plein de belles choses à faire avant d’aller s’enterrer …
    Patates et lever de soleil,

  10. @Der Sozialist me voici un pzu plus alerte pour répondre à ton intervention.
    comme je te le disais plus haut, sur le fond je suis d’accord avec toi. j’ai écrit ce post comme une sorte de constat attristé de l’état des choses. il y a trois, quatrre ans, j’étais en classe prépa, j’avais des cours de géopolitique, de macro économie, de philo. je lisais Courrirer International et suivait assidument l’actualité. j’ai même lu une partie du projet de constitution européenne. et tu sais quoi ? ça me plaisait. j’aimais comprendre ce qui se passait dans notre monde, et pouvoir discuter politique des heures durant. c’était grisant, de s’engager et de savoir pourquoi, même si je ne me suis jamais sentie « de gauche » ou « de droite », ou reconnue à 100% dans un parti.
    et puis j’ai changé d’univers, suis entrée dans le monde du travail. j’ai d’autres centres d’intérêts, moins de temps à consacrer à tout ça. j’ai perdu cette vivacité de la « jeunesse » adolescente où on s’intéresse à tout.
    comme tu dis, nous sommes nombreux (trop) à nous détacher des questions politique et de l’intérêt commun pour se plonger dans nos intérêts persos. on ne se retrouve plus dans la classe politique, on vote un coup à gauche, un coup à droite. c’est le reflet d’une époque, sûrement.
    alors non ce n’est pas « bien », ni « normal ». parfois je me dis que je devrais m’intéresser un peu plus, me réinscrire pour voter à Paris, avoir un avis sur les choses. mais je pense que malgré tout, quand ce type de mouvement nait, quand on voit le nombre de blogs politiques qui existent, non, les français ne sont pas devenu un peuple bovin et immobile, oui nous avons toujours une sorte de sang révolutionnaire qui reste. et c’est juste dommage que tout ça se noie dans les causes valables et les autres, et que noyés dans la masse on ne sache plus réagir pour ce qui compte vraiment.
    mon comm part un peu dans tous les sens. j’espère juste que nous sommes dans une phase de transition, avec beaucoup de remous et un président qui met les pieds dans le plat (dans tous les sens du terme), pour arriver à qqc qui nous ressemble.

  11. @Mymy mais non, ça va s’arranger 🙂

    @Fée Lait je sais bien qu’il y a des gens qui savent pourquoi ils descendent dans la rue. et c’est une bonne chose qu’il y ait encore ces gens là, qui manifestent pour protéger et conserver certains droits.
    je trouve juste que la plupart du temps, ceux qu’on voit, ce ne sont pas ceux là. que les lycéens d’aujourd’hui fassent grève « pour leurs retraites » c’est n’importe quoi. quand on sait qu’ils reçoivent des SMS les appelant à faire grève, on cherche le foutage de gueule.
    et oui, c’est hyper triste de voir que d’un côté on manipule des gamins qui ne comprennent rien, et que de l’autre, les gens « apte à comprendre » et à décider seuls comme nous (oui nous sommes intelligentes :p)ne font rien.
    snif :p

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