Intime & Réflexions

les imperfections (ce qui est beau)

C’était un soir et il neigeait alors que le jour d’avant il faisait 27°C et qu’on s’était pris un orage sur la tête – mais c’est comme ça à Montréal, tu sais, la météo elle est toute croche en ce moment, on sait plus comment s’habiller  ça a pas d’allure -, j’écoutais la playlist 8tracks vraiment coule que m’a fait découvrir ma coloc en écoutant la neige tomber sur les fenêtres et en me disant qu’Andrew Bird c’est vraiment bien, que je suis frue de pas avoir vu Half Moon Run en concert – vraiment -, et que le chou-fleur ça pue – parce que j’ai fait du chou-fleur. Et puis y a quelqu’un qui a liké une vidéo partagée par quelqu’un d’autre sur Facebook – tu sais les petits news dans la colonne de droite, où c’est écrit « machin a liké le status de truc » et « bidule est maintenant ami avec chose » – et puis c’était cette vidéo.

Alors c’est du Queb’ et vous allez pas tout comprendre sûrement, mais c’est beau. C’est beau parce que cette langue elle me caresse l’oreille, et plus encore, n’en déplaise à ceux qui trouvent cet accent dégueulasse, moi j’adore sa musique et ses expressions. C’est beau parce que c’est comme un poème, de ces textes écrits à la va vite sur un coin de carnet, une nuit où on arrive pas à trouver le sommeil. C’est beau parce que cette phrase, et la suite, et le reste.

« Parfois on oublie que c’est quand on s’trompe que c’est beau
Qu’on est vulnérable que c’est beau, c’est quand on s’trompe pis qu’on sait pas trop
C’est ça qui est beau »

J’ai jamais vraiment aimé les gens parfaits. Je déteste quand c’est lisse. Quand c’est tout plate et tout brillant, y a pas d’aspérités, pas de défauts, pas de rebords où s’accrocher le coeur et gratter un peu. Moi j’aime les gens qui sont capables de montrer leurs faiblesses – les petites, les jolies, les moins jolies, celles qui font d’une personne ce qu’elle est, un caractère en relief avec tout ce qui la compose. Moi j’aime les petits défauts, les trucs un peu croches et maganés. J’aime gratter la couche supérieure pour voir ce qu’il y a dedans, ce qui se cache sous le vernis, sous les apparences qu’on se donne, la première fois, et peler doucement les couches pour m’attacher à ces choses-là plus fragiles.

J’aime pas les premières fois. On essaye tous – plus ou moins consciemment – de se montrer sous ce qu’on croit être notre meilleur jour, de paraître plutôt que d’être, de jouer le rôle qu’on pense que l’autre voudrait nous voir jouer. On se pare, on se maquille, on enfile le costume trois pièces et les talons qui vont bien ; c’est que des apparences vous me direz ; et puis on se glisse dans la peau d’un nous démembré, un nous amputé, un peut-être-même pas nous.

Je crois que je suis un peu trop intense, là-dessus. Intense voir même intolérante, parce que je suis une nazie du naturel. Pas du naturel genre venez comme vous êtes-pas lavés-débraillés-poilu, non. Nazie comme je déteste découvrir plus tard qu’en fait, la personne que j’ai rencontré la première fois, bah, c’était pas elle. Un ersatz pseudo-amélioré. Un truc calculé pour me séduire. Surtout si ça a fonctionné. Je veux dire, oui, on est tous plus ou moins nous-mêmes, la première fois, évidemment qu’on montre pas tout, qu’il ya le politiquement correct, qu’il faut protéger les apparences, qu’on s’adapte au contexte et à l’interlocuteur et qu’on crie tous intérieurement « aimez-moi ». Mais je crois que la sincérité paye. Je crois qu’on devrait tous être capables d’assumer la part croche de notre nous-même, et pas jouer un rôle – juste choisir les morceaux qu’on va dévoiler, pas (se) mentir, pas feinter.

Au fond, je sais très bien que c’est impossible, mon affaire. Ya qu’à voir comment du jour au lendemain quand on quitte quelqu’un qu’on a aimé on a l’impression que c’est une autre personne – alors qu’on se connaissait par coeur ; et comment mes anciens collègues avaient une vision de moi assez déformée – comme quoi on a des masques et des costumes pour chaque rôle qu’on tient, chaque période de notre vie, chaque pièce à jouer. Je suis la première à m’habiller pour afficher une part de moi qui m’arrange dans un contexte particulier. Ce blog ne s’appelle pas The Stage Door pour rien. Mais je crois pas que j’ai déjà déçu des gens – je suis moi, en entier, dès le départ – un peu intense, un peu too much, un peu grande gueule, un peu chiante, mais c’est moi. Ce que tu vois plus tard, c’est juste parce que t’as eu envie de peler l’oignon, de gratter – et que j’ai laissé faire un peu – et parfois ça fait peur, et parfois ça semble incohérent avec le reste, et non j’ai pas toujours autant confiance en moi que ça en a l’air. Je crois que depuis Montréal, j’apprends à moins feinter, à moins me cacher, à assumer qui je suis et mes idées. Mais je sais pas comment ils font, les gens qui jouent un rôle tout le temps pour paraître bien, pour se faire aimer, pour coller au moule dans lequel on leur a dit d’entrer ; je me demande s’ils arrivent à gérer avec ce qu’ils sont en dedans ; s’ils sont en accord avec eux-mêmes ou si les apparences finissent par les bouffer ; s’ils seront capables de vivre toute leur vie en représentation ou s’ils vont finir fucking schizophrènes. Je me demande comment font ces filles qui se remaquillent le matin avant que leur mec ne se réveille, qui sont toujours parfaitement épilées, qui se montreront jamais en mode grumpy. T’es pas fatiguée de jouer à la poupée ? Je me demande comment font les gens qui cachent savamment leurs infidélités. Tu fais comment pour mentir à la face de celle/celui que t’aime ? Je me demande à quel point la société et les apparences nous polissent, nous formatent, poussent à se soumettre, à vivre cachés.

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Je vis dans un monde idéal où on pourrait tous juste être nous mêmes. Peut-être qu’à Montréal on a un peu plus cette possibilité. Peut-être que faut apprendre à vivre avec soi-même avant d’être capable de l’assumer devant notre entourage. Peut-être qu’on est tous des oignons bien habillés qui essayent tant bien que mal de se rendre heureux en cherchant l’approbation de leurs choix dans le regard des autres. Peut-être qu’accepter de pas être parfait, de pas savoir, de pas rentrer dans des cases de magazines, c’est compliqué.

J’ai plein d’amis pas parfaits, plein d’amis qui ont du mal à croire en eux, parfois, et j’ai envie de dire t’es beau, regarde, t’es beau avec toutes tes égratignures et tes doutes et tes hésitations, t’es beau avec tes cicatrices, tes larmes que tu caches, ta peur de pas réussir et de pas être aimé assez, c’est touchant d’être flou comme ça et oui je vois toutes ces traces en dessous de ta peau et je t’aime fort tu sais, je t’aime en entier avec toutes tes fêlures, et on devrait aimer que comme ça, toujours. Mais arrête de douter. Arrête d’avoir peur. Arrête de te comparer, de rêver de trucs comme dans les films et de trouver des raisons de ne pas y aller, et fonce, et tant pis si ça marche pas, au moins, t’auras tenté, tu te seras donné une chance, tu auras fait un choix, et tu pourras être fier de toi pour ça, d’avoir avancé avec toutes ces casseroles et ces doutes que tu te trimballes parce que t’es humain et que c’est comme ça, et d’avoir tenté malgré toutes les chances que ça rate, et n’aies jamais de regrets, parce que c’est aussi en se cognant aux murs qu’on apprend à vivre.

Mais je dis rien, souvent, je m’énerve toute seule à voir ces gens là que j’aime pas réussir à s’aimer et rien pouvoir faire alors que c’est juste . Et je dis rien, parce que je suis très forte pour faire ça en amitié, aimer sans conditions, et très nulle quand il s’agit d’amour. Alors je me tais. Parce que je suis pas parfaite, moi non plus…

– photo de pas ma main, par Vincent

16 Comments

    1. Oh !
      J’attendais rien, comme souvent j’écris sans savoir ce qui va se passer au bout, et je suis vraiment touchée des réactions à ce post…
      Merci pour ton comm, des bises de pas si loin !

  1. Moi aussi, ton texte m’a beaucoup touché. Je réfléchis souvent au masque et à nos personnalités cubistes. Tu as vraiment une beauté intérieure intrigante. Pis merci d’aimer notre accent mal aimé.

  2. C’est aussi ce que j’apprends à faire « peler l’oignon », on en a des couches, c’est fou. comme tu dis, un costume pour chaque rôle, en fonction du contexte. Alors que ça nous pèse bien souvent et qu’on n’a qu’une envie, être vraiment soi-même. Mais le bouddhisme pour ça, ça aide pas mal. Parce qu’heureusement on sait que ça existe des êtres authentiques, on en a croisés !!
    Bises et merci pour ce beau billet.

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  4. Je commence tout juste à ne pas jouer à une autre lors des premières rencontres. Et bizarrement, je suis plus attachante en étant moi-même que le contraire alors j’hésite de moins en moins.

  5. Magnifique article, très très juste… Oser être soi même moi comme on est, et surtout l’afficher, l’assumer devant les autres, choses pas si simple que ça à faire, mais qui en vaut la peine…

  6. Impossible de ne pas commenter… Parce que sans toi et tes discours d’imperfections, je n’en serais pas la aujourd’hui ! Parce que tes imperfections ont changé beaucoup de gens autour de toi, ta vision des choses… Parce que ton mode oignon est superbe à découvrir… Parce qu’à chaque fois qu’il m’arrive un truc, t’es la première personne que j’ai envie d’appeler pour le plaisir de raconter, de décortiquer, de rigoler, de ressentir…
    Les imperfections font finalement de nous, des gens parfaits pour ceux qui nous aiment… Et bordel, moi je t’aime ! Merci <3

  7. Je ne sais pas trop pourquoi, mais après des mois (si ce n’est plus) à te suivre, c’est la première fois que je passe sur ton blog. Et j’aperçois cette vidéo que j’ai croisée il y a plusieurs jours sur le net et qui m’a vraiment touché, alors je m’attarde un peu et je commence à lire.
    Et pwah, ça me parle fort, tout ce que tu racontes. Cette langue qui chante, pour commencer, avec ses expressions tordues et ses sonorités bizarres. Puis les aspérités de l’être auxquelles accrocher son cœur, et au final, toutes ces petites choses qu’on cherche à cacher au lieu d’apprendre à les montrer, juste parce qu’on pense qu’elles ne collent pas à ce que les autres veulent voir de nous.
    Enfin je crois que je suis comme ça, que je porte un masque, tous les jours, tout le temps, et que je me surprends agréablement quand j’arrive (souvent avec de l’aide) à le faire un petit peu tomber. Et c’est surement pour ça aussi que j’aime gratter, creuser, presque fouiller jusqu’aux détails que les autres me cachent, et les aimer encore plus après les avoir découverts.

    Oh et merci pour ce paragraphe de choses que tu voudrais dire à tes amis qui ont du mal à croire en eux, parce qu’il fait du bien à lire, il fait nous sentir fort malgré les difficultés qu’on peut avoir. Enfin moi, mot après mot, il m’a fait croire un peu en moi. Tu ne devrais pas t’empêcher de leur dire tout ça.

  8. ce qui est beau… ?
    toi, ton dedans ton dehors et tes textes…
    tes amis ont de la chance et je suis sûre qu’ils le savent ^_^

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