Intime & Réflexions

être loin.

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Alors qu’on se retrouve catapultés en plein hiver en 48 heures à base de neige et de ressenti -12°C, je réalise le temps qui passe, doucement, mais sûrement, et au delà du temps, la distance qui me sépare de « chez moi ». Chez moi. Cette expression prend un sens étrange lorsqu’on vit à 6000km de là où on est née, séparée d’un océan. Jusqu’ici, je crois que je n’avais pas complètement pris la mesure de ce qu’implique l’expatriation, mais ces derniers mois m’ont fait réaliser à quel point je suis loin. Pourtant, chez moi, c’est ici, et chaque jour plus que jamais.

Être loin, c’est une notion du temps toute particulière. J’ai parfois l’impression que si les jours s’écoulent pour moi ici, il n’en est rien là-bas, qu’on va se retrouver comme si on s’était quittés hier, que rien n’aura changé. Et puis on se retourne sur un souvenir et on réalise que ça fait six mois (déjà !) qu’on a pas vu sa famille, serré certaines personnes dans ses bras. Les gens continuent à vivre de l’autre côté de l’Atlantique, et ici le temps avance aussi. On s’appelle et cette histoire dont on a discuté hier est déjà enterrée, pour une autre, qui passera sûrement d’ici le prochain coup de fil. C’est étrange de regarder ces gens qu’on a présentés l’hiver dernier devenir amis, se fréquenter ; se dire qu’on aimerait aussi être là, partager ces soirées avec eux, voir leur relation évoluer indépendamment de nous. C’est aussi voir certaines personnes s’éloigner – ou peut être que c’est moi qui ai doucement pris mes distances. Un jour on se texte chaque semaine, et puis soudain, ça fait deux mois qu’on a pas vraiment parlé. Les départs et la distance brisent des amitiés, c’est un fait. Pourtant, il y a celles et ceux dont on s’est rapprochés, ceux qui sont venus voir, ceux qu’on aimerait voir venir s’installer ici, pour vrai.

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Être loin, c’est cette distance physique, aussi. Je rêve beaucoup de la France, en ce moment, je rêve que je rentre, que je vois certaines personnes, mes amis, ma famille, que j’emmène un barbu Québécois découvrir mon pays. Je rêve que j’ai pas le temps de voir tout le monde, que je dois sélectionner. Je me mets à devoir choisir ceux qui comptent vraiment, et il suffit de quelques doigts. Le réveil sonne, je suis toujours à Montréal et je n’ai pas encore de date pour mon prochain séjour. J’ai des envies qui fourmillent mais l’incertitude qui m’accompagne depuis des mois retient toute décision. J’espère secrètement avoir de la visite cet hiver, parce que je voudrais partager comment c’est beau sous la neige, et les convaincre que le froid c’est pas si pire.

Être loin, c’est pas pouvoir être là – physiquement – pour ceux qui passent des périodes difficiles et leur dire d’appeler quand même, à n’importe quelle heure, même pour des conneries – on essayera d’être là. C’est penser que mes deux grand-pères vieillissent, que pour la première fois de ma vie, je ne passerai pas Noël avec ma famille, qu’on ouvrira pas les cadeaux autour d’une coup de champagne après un ciné – que peut être j’aurais pas de cadeau, parce que la Poste c’est pas le Père Noël. Être loin, c’est ces soirs où on irait bien faire un câlin à sa meilleure amie, préparer des madeleines au chocolat, boire du thé-hippie et s’endormir dans la chaleur d’un petit appart parisien – comme avant.

Sauf que c’est plus comme avant. Pour rien au monde je ne rentrerai vivre en France, mais à l’arrivée de l’hiver, il y a comme un doux parfum de mélancolie. Comme la prise de conscience que c’est pas si facile, qu’on sera peut être séparés pour toujours par un océan et 6 heures de décalage horaire. Qu’on vit dans des réalités parallèles, des quotidiens plus si semblables, qu’on évolue aussi.

Je n’ai aucun regret, aucune envie que ce soit autrement. J’ai fait mon choix, en conscience, en écoutant mon coeur. Faque cette année, alors que je fêterai Noël ici avec mes amis, alors qu’on sera en famille – cette famille recomposée, parce qu’on a tous choisi Montréal, parce que ma famille, ici, c’est eux – j’aurais une pensée particulière pour tous ceux que j’aime et qui sont loin.

Parce qu’après tout, être loin, c’est juste une question de perspective…montreal-parc

les jolies photos viennent du instagram du barbu Québécois qui partage mes nuits : http://instagram.com/dany.prend.des.photos

Au quotidien

alors on est allés voir la mer

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C’est toujours trop court. Le temps de se dire salut ça va, de rattraper les nouvelles, ton visa, ton boulot, les amours, et on commence à peine à parler de vraies choses – des choses dont on discutait quand on se voyait, avant – que c’est déjà le moment de se dire au revoir. Next. Traverser Paris sous terre, les lignes s’enchaînent et se ressemblent toujours un peu, je connais presque par coeur le tracé des couleurs sur le plan, changement, couloirs blancs, les 4×3, l’odeur de la pisse. Raconter pour la 5e fois la même chose, répétition absurde qu’on enchaîne pourtant presque avec plaisir, parce que ça fait du bien de se voir. Vraiment. C’est frustrant, aussi, parce qu’il suffit d’un mauvais jour, d’une fatigue passagère, et on se loupe – c’est la vie. La sensation d’avoir raté quelque chose, alors, et l’impression d’être vide – vide d’avoir beaucoup donné, et peu reçu, vide d’avoir raconté, encore et encore, la vie, vide des kilomètres avalés, de l’enchaînement des personnes, de toutes ces retrouvailles toujours trop courtes, ces déjeuners trop rapides, ces sujets dont on a oublié de discuter. La fatigue, les nuits trop courtes et les réveils bouffés par le décalage horaire, les verres de vin et de bière qu’on enchaîne, les cafés, les bars, les restaurants. Et les amis, ceux qui se plient en quatre pour qu’on puisse se voir malgré mes changements de programme et mon planning chargé, ceux qui t’hébergent en dernière minute, ceux qui font des madeleines et sortent du saucisson, ceux qui parlent de cul trop fort dans le resto, ceux qui t’emmènent dans un café des chats (parce que je suis bien la seule personne qui trouverait ça cool), ceux qui se sont mariés, ceux à qui tu sais pas trop comment dire qu’ils te manquent, vraiment, ceux qui.

Un TGV pour Nantes. J’avais besoin d’air après ces quelques jours à Paris, besoin de me poser, loin du métro, loin de l’hôpital et des petits vieux Alzheimer du service où était ma mère, arrêter les aller-retours, les gens, juste être là, mettre mes pieds dans le sable. J’avais décidé de faire ce détour, profiter d’être là un peu plus longtemps, pour une fois, pour aller dire bonjour à l’Océan, rouvrir une parenthèse.

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C’est toujours délicat, des retrouvailles avec quelqu’un à qui on a dit au revoir il y a presque un an, sans savoir quand serait la prochaine fois. C’est cette boule au ventre, l’excitation mêlée de crainte, et le temps compté : deux jours, 48 heures, un peu moins de 3000 minutes. Va-t-on avoir des choses à se dire ? S’engueuler pour des conneries ? Enchaîner les discussions vides ? Ou bien.

On a pris la voiture, direction Noirmoutier. La destination au hasard, Guérande et le Morbihan, je connais, alors on a choisi la possibilité d’une île. Le temps de traverser des champs et des marais, et ce pont au dessus de l’eau boueuse à marée montante, et on y était. Des rochers granites, du sable couvert de coquillages et des galets pour faire des ricochets. Il faisait bon, sous le vent, derrière les arbres,  je perdais complètement au jeu de la comparaison des tâches de rousseur – le soleil me manque, et l’Océan, et nos sourires. J’ai beaucoup souri, je crois, parce que j’étais bien là sur cette plage face à la marée haute, parce qu’on a discuté de tout et de rien, parce qu’on s’est même pas pris la tête sur nos divergences politiques. On a mangé dans un resto presque choisi au hasard, au moment de payer l’addition on a parlé de Montréal avec les proprios – de comment c’est bien, là-bas, de la ville souterraine, de la mentalité. Et puis le lendemain il pleuvait, alors on est rentrés à Nantes et on s’est baladés sur les bords de l’Erdre et dans les ruelles, je voulais manger des crêpes mais c’était pas aussi bon que dans mon souvenir, et puis on est allés voir cette grande flaque derrière l’aéroport, une grande flaque pleine d’oiseaux et baignée de soleil, et c’était beau. Alors il a fallu partir, un avion pour Marseille, vol nocturne. Dire à nouveau au revoir sans savoir quand serait la prochaine fois. Pas vraiment savoir quoi se dire, finalement, parce que fuck les au revoirs, parce qu’un quai de métro, une chambre baignée de soleil, un hall d’aéroport, aucun lieu n’est vraiment fait pour ça.

Tu as remarqué comme vu d’avion, la nuit, toutes les villes ressemblent à des îles… ?

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Intime & Réflexions · Montréal, Québec

partir, c’est mourir un peu

Avant toute chose, je tiens à dire que je ne suis pas d’accord avec cette phrase. Alors oui, si on lit le poème d’Edmond Haraucourt dans son intégralité (je vous rassure, comme tout le monde je connaissais la phrase mais pas son auteur ni le texte en entier: Google est mon ami), on comprend un peu mieux ce qu’il a voulu dire, mais bon.

Venons en au fait.

Lorsque je suis arrivée au Canada, un ami (français, expatrié ici depuis 4 ans) m’a dit: « tu verras, tu vas prendre l’habitude de dire au revoir, et c’est pas toujours facile de voir partir les gens ». Sur le moment, j’ai rigolé, je lui ai dit t’es gentil, mais j’ai pas mal bougé, changé d’amis, des gens qui ont été importants un moment et ont disparu de ma vie, j’en ai eu des tas. Et puis j’ai récemment expérimenté la chose. Et j’avoue que je comprends mieux. A Montréal, les Français sont souvent là en CDD: PVT, expérience, stage, études. Il y a ceux qui repartent parce qu’ils ont fait leur temps, ceux qui n’ont pas réussi à renouveler leur Visa, ceux qui ne passent pas l’hiver, et d’autres.

Alors oui, dans n’importe quel endroit on a toujours des gens qui partent, qui quittent Paris pour la Province, ou ailleurs. Mais lorsqu’on est entouré d’expatriés, le turn over est un peu plus fréquent.

Dans deux mois, un autre de mes amis va quitter Montréal. Ca fait 7 ans qu’il est au Québec, d’abord pour les études, puis pour le boulot, et pourtant il a décidé de rentrer, pour reprendre des études et se rapprocher de sa famille. Parmi ceux qui restent, il y a celui dont la mère est malade, celle dont la soeur a accouché, ceux dont les amis se marient. Ici, notre famille, c’est les amis, les autres expatriés qui comme nous ont décidé de quitter leurs proches pour refaire leur vie.

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