Montréal, Québec · Voyages

le grand écart

Plus d’un an et demi que je n’ai pas mis les pieds en France et je me sens de plus en plus loin de « mon pays ». Le décalage est encore plus flagrant lorsque je parle avec mes amis Français (qui vivent en France), et particulièrement lorsqu’on reçoit de la visite chez nous – je me surprends à corriger les gens sur le fait qu’ici, les gens sont Québécois avant d’être Canadiens, à perdre mes expressions françaises, à ne plus comprendre certaines façon de faire ou de penser, à être susceptible sur les classiques comparatifs « en France, c’est différent ». Plus le temps passe, moins je supporte les « Français du Plateau », l’attitude parfois arrogante de nouveaux arrivants ou de ceux qui, malgré plusieurs mois/années ici, semblent encore agir comme si Montréal était une banlieue lointaine et sympathique de Paris.

Il serait difficile de décrire ce que j’appelle « l’intégration ». Chacun fait son chemin à guise, chacun vit son expérience à sa façon. Je suis malgré tout toujours surprise des Français qui après plusieurs années ici n’ont encore que des amis Français – les mêmes qui semblent dire que les Québécois sont très sympathiques, mais que c’est vraiment compliqué de s’en faire des amis ; les mêmes qui chialent (râlent) indéfiniment sur les différents aspects de la vie ici mais qui vont quand même demander leur citoyenneté canadienne.

Je l’ai déjà écrit, je ne me sens pas ici comme une « expatriée », mais bien comme une immigrante, une nouvelle arrivante qui compte bien faire de ce pays mon futur « chez moi ».

La vérité, c’est que je ne sais plus vraiment où est chez moi. Alors que le Canada est en pleine campagne électorale, je réalise que je ne sais pas comment, en 2017, je vais pouvoir voter – et que d’une certaine façon, j’en sais plus sur les récents scandales politiques de mon pays d’adoption que sur le bordel de la situation socio-economico-politique française. Ne me parlez pas de l’actualité people – je suis perdue sur Twitter, je comprends plus les références, à part celles sur Morano.

Je suis en transit. Quelque part au milieu de l’Océan Atlantique, un pied sur chaque rive, je garde un étrange équilibre. Je suis et je resterai toujours Française, avec une éducation, une mentalité, une culture, un caractère que les Québécois, si amoureux et fascinés par « les Europes » soient-ils, ne comprendront sans doute jamais. Et inversement. Le Québec est une anomalie de l’Amérique du Nord, coincé quelque part entre sa volonté féroce de conserver sa langue, sa culture, sa religion, et pourtant immergé dans une culture Nord-Américaine anglophone, protestante et fondamentalement métissée. On se sentirait vite chez soi, l’accueil est chaleureux, la langue ressemble à notre français, Montréal est belle, joyeuse, attirante, ils sont tellement gentils, nos « cousins » Québécois. Et pourtant, on est ailleurs. Sur un autre continent, dans un autre pays, encore en pleine affirmation de sa personnalité.

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Je pourrais y passer des heures, je ne pourrais jamais expliquer tout ce qu’il y a dans ce pays qui me fascine. La beauté des paysages, immenses. Le rythme violent des saisons qui nourrit chaque année un peu plus nos discussions sur la météo. La richesse et la simplicité des gens. Le respect de l’autre, la tolérance, et le sentiment de liberté qui découle de l’idée que tout est possible, car personne ne se permettra choisir à votre place ce qui est mieux pour vous (sauf si vous avez le malheur d’être musulmane et voilée).

Bientôt 3 ans à Montréal. Je ne me suis jamais faite harceler dans la rue. Je n’ai plus peur depuis longtemps de rentrer seule le soir. Je me promène habillée comme j’en ai envie, sans me faire siffler, sans me faire accoster, sans une main au cul ou un commentaire désobligeant. J’ai des tatouages qui couvrent tout mon dos, et les cheveux mauves depuis 3 mois, et les seules fois où je me suis fait arrêter dans la rue, c’était pour des compliments. Je n’ai pas peur de me faire voler mon téléphone, dans un bar. Il n’y a pas de code pour entrer dans mon immeuble. Je sors dans des soirées où les gens sont costumés, où les garçons portent des jupes car le genre n’a pas d’importance, où on est accueillis par des câlins, où les filles se promènent en pasties (nippies, pour les françaises). Je vis dans une ville où les gens s’excusent quand ils te bousculent, ne poussent pas dans le métro (pas sans avoir dit « pardon »). C’est pas le pays des Bisounours (preuve : ils ont élu Harper), mais c’est doux, et reposant. Et je pense que ça retourne un peu nos habitudes.

Pourtant. Ça me manque, parfois, les débats d’opinion, de pouvoir échanger sans toujours devoir arriver à un consensus, pour le pur plaisir de la rhétorique. Ça me manque la densité, la variété, les odeurs et les couleurs de Marseille ou Paris. Ça me manque l’accent du Sud, la mer, les montagnes, le bruit des cigales, l’été. Ça me manque de pas toujours comprendre ce qu’on me dit, parce que j’ai beau être devenue fluent en Québécois des villes, j’en apprends encore tous les jours. Ça me manque de prendre le TGV, d’être dans un autre pays en 1h d’avion, le vin pas cher, les rayons de produits laitiers du Monoprix ou du Géant Casino, les recettes en grammes et pas en « cup », la lingerie cheap et sexy, les millions d’enseignes de magasins de fringues et de chaussures, et même de déco, rentrer à pieds parce que tout est à côté, voir la Tour Eiffel scintiller à minuit.

Je n’échangerai ma vie ici pour rien au monde, et surtout pas pour mon ancienne vie parisienne. C’est un mal différent qui m’a prise ces derniers mois. Un mal de mes racines. Je n’appartiens plus à  là d’où je viens, et je ne suis pas encore ici vraiment chez moi – je ne le serai sans doute jamais complètement.

J’appréhende mon voyage en France en Décembre comme la claque que je risque de prendre. J’appréhende ce décalage de trois ans d’absence, de mon intégration québécoise, des changements de route, de revoir ces paysages familiers au travers d’un regard différent.