Au quotidien

l’odeur de l’intime

Je m’étais dit que j’allais écrire sur mon métier. Vous raconter pourquoi je l’aime, cette job. Ses bizarreries, ses spécificités, la passion derrière tout ça.

Ça fait longtemps que j’y pense à ce post (et en fait, j’ai commencé ce brouillon il y a plus d’un mois). Mais comment raconter ? Par où commencer ? Qu’expliquer ?

D’abord, je voudrais vous parler des gens. Parce qu’il s’agit d’eux, après tout.

Des inconnus de tous genres, tous âges, originaires d’un peu partout. Il y a les bavards, et les taiseux. Les grands, les maigres, les vieux, les costauds, les tatoués, les parfumés, les rasés de près. Il y a des ingénieurs, des médecins, des gars de la construction, des patrons, des consultants, des ouvriers, des carrossiers, des retraités, des restaurateurs, des mères au foyer, des licenciés, des profs, des marketeux, des artistes et même parfois des gens sur le BS*. Il y a des jeunes couples et des vieux célibataires. Des femmes enceintes. Des jeunes parents. Il y a celui qui vient pour décompresser de sa semaine de job, celle qui n’a pas pris deux minutes pour elle depuis 6 mois, celle qui a mal partout, mais surtout entre les omoplates, celui qui vient « voyager », celui qui n’a plus personne dans sa vie depuis trop longtemps et qui a besoin d’affection. Il y a des Québécois, des anglophones, des Égyptiens, des Libanais, des Français, des Asiatiques, des Latinos, des Haïtiens, et même des métisses autochtones. Il y a les sensibles qui prennent peu de pression, et ceux qui veulent sentir que ça travaille. Les pudiques. Les curieux. Les agaçants. Les attachants. Les anxieux. Les confiants. Les réceptifs. Les émotifs. Les expressifs.

Des inconnus avec qui, en quelque sorte, je partage une heure, une heure et demie, deux heures d’intimité. Des inconnus qui, au fil des rencontres, deviennent des familiers.

Je les écoute me raconter où ils ont mal, comment ils se sentent, le stress à la job, les histoires de leur chat, de leurs enfants, de leurs prochaines vacances, leur dernière soirée. Parfois plus. Parfois, ils ne disent rien, et c’est leur corps qui parlent, et c’est souvent tout ce qu’il nous faut pour créer le moment.

Ce moment, toujours unique, toujours différent. Être là pour eux, en bienveillance, en écoute, en présence. Soulager les bobos du corps, ces petites douleurs et vieilles blessures qui les amènent à s’allonger sur ma table. Mais surtout tenter d’atteindre un peu plus loin ce qui se trouve sous la peau. Le stress, la fatigue, les émotions. On vit dans ce monde à 1000 à l’heure, poussés par la pression et les responsabilités. On traverse nos journées sans se ressentir, sans s’écouter, sans prendre le temps de s’arrêter pour savoir où on en est, ce qu’on vit, ce qui nous ferait du bien. Alors doucement, alors que je pose mes mains sur eux et travaille les tensions et les adhérences, le souffle s’approfondit. Le corps et l’esprit se relâchent. Et je vois leurs visages qui ont soudain perdu 10 ans. Je vois le poids s’alléger sur leurs épaules. Les soucis s’évaporer, pour un moment du moins. Et le soulagement infini qui se dessine dans leurs regards alors que j’annonce que le massage est terminé.

Voilà pourquoi j’aime ma job, voilà pourquoi, au delà d’un métier, c’est une passion. Il y a si peu de moments dans notre quotidien durant lesquels on s’arrête, et on se laisse aller pendant une heure ou plus, qu’on se donne l’autorisation de se laisser prendre en charge complètement. Il y a très peu de moments où, centimètre par centimètre, une autre personne touche notre corps, la surface de notre peau, dans son entièreté ou presque. La plupart du temps, quand on va voir un professionnel de la santé, on cherche une guérison, pas simplement à se faire du bien.

J’aime ma job pour la reconnaissance immense que me donnent mes clients. Pour le bien-être que moi aussi je retire à donner, certes, mais recevoir tout autant.

Voilà deux ans, j’ai décidé de suivre une formation pour devenir massothérapeute (note : au Québec on ne dit pas masseuse, qui est réservé aux salons de massage érotique qui existent un peu partout à Montréal), et un peu plus d’un an que j’ai officiellement décidé d’abandonner mon ancienne carrière de marketeuse au profit de la masso. Il y a 1000 raisons qui expliquent ce choix, le premier étant certainement une évidence étrange : ce n’est pas moi qui ait choisi la masso. C’est la masso qui m’a trouvée.

Toucher des gens. Le contact. La peau. L’intime. Je suis faite pour ça.

Lorsque je masse, c’est comme méditer. Je suis dans le moment, dans le corps de l’autre, dans ses aspérités ses formes ses noeuds et ses déliés. Je suis et j’écoute l’énergie qui se dégage, la chaleur, les vides, les pleins.

Lorsque je masse, ça me fait du bien. Il m’arrive de rentrer travailler avec le coeur et la tête lourde, les jours sans avec leur lot de tristesse, de colère et de fatigue. Et quitter le soir, épuisée mais remplie d’une énergie nouvelle, le sourire aux lèvres, le coeur riche surtout.

Bien sûr, il y a de la technique. Savoir utiliser son poids de corps, son hara pour transférer la pression sans se faire mal. Trouver les noeuds, les jitsu et les kyo, travailler en effleurage, pétrissage, foulage, main pleine, paume, pouce, friction, pression ischémique, ébranlement, mobilisation. Et j’en passe. Je sais le nom et le dessin des muscles, la position des organes, les trajets nerveux, quelques méridiens. J’utilise des huiles essentielles, des baumes de massage, du gel bio.

Pour le reste, je travaille le plus souvent à l’intuition. Je sens, mes mains et mes avant bras sont les outils qui savent comment apprivoiser la peau, les muscles, les fascias. Et j’écoute. Je ressens. Je respire.

Le massage est comme une danse. Comme une longue conversation. Comme un partage intime. Un donneur, un receveur, un échange d’énergies. Parfois, la connexion s’installe et on vibre ensemble, parfois, il faut faire tomber les barrières, les réticences, les appréhensions. Parfois, il ne se passe rien. Parfois, on se laisse aspirer.

La massothérapie m’a ouvert la porte d’un univers infini. Depuis 3 ans, je suis en constant apprentissage, tant sur le plan des connaissances, sur des notions énergétique, psycho-corporel ou biomécanique, que sur moi-même. Moi l’hypersensible, j’ai trouvé comment canaliser mon énergie, comment trouver de la reconnaissance dans mon travail, comment utiliser mes qualités relationnelles.

Ce n’est pas un métier facile. On me dit souvent, ça doit être dur. Ça l’est. Physiquement. Mentalement. On donne beaucoup, il faut constamment être à l’écoute de soi pour se rééquilibrer, ne pas se brûler. Mon corps est mon outil de travail, alors je dois être en forme sous peine de me blesser. Je suis travailleur autonome, je n’ai pas de congés payés, pas d’assurance emploi ni de jours maladie. Mais j’ai ma liberté, la flexibilité d’horaires, la reconnaissance de mes clients. J’ai surtout la chance de vivre de quelque chose qui me passionne. Alors oui, on peut s’épanouir dans son travail, tout en étant capable de payer son loyer. C’est mon choix et j’en suis fière, je travaille fort pour gagner confortablement ma vie, et je me souhaite de pouvoir continuer encore longtemps comme ça.

Intime & Réflexions

les petites cases

J’ai un problème avec les cases.

Tu sais, celles où on met les gens, avec des petites étiquettes pour savoir où et comment ranger, catégoriser, sélectionner, et indirectement, porter un jugement définitif.

C’est un jugement, que de mettre une étiquette. Une classification qui s’accompagne d’un tas d’a-prioris, de préconçus, de sous-entendus, et puis ça doit rester là toute la vie, sinon quoi. C’est comme si un jour on te disait, tu es là, et tu y restes, et même si tu voulais éventuellement bouger, tsé, t’es sûr parce que c’est compliqué, t’es bien là où t’es, t’es pas content c’est pour ça ? tu fais une petite déprime ? une crise de la quarantaine – ou d’adolescence tardive ?, et puis ça va déranger toutes les étiquettes qu’on a collées depuis le début là, si tu décides de changer ce qu’on pensait de toi, ça bouscule l’ordre établi, et après, on sait plus quoi faire – parce que tu rentres plus dans les cases toutes prêtes de la société.

J’ai un problème avec les cases, parce que je veux pas me sentir obligée de rester dans un cadre préétabli sous prétexte que « c’est comme ça qu’on a toujours fait », et « t’as fait des études », et puis « mais qu’est ce que les gens vont penser ».

Je viens de finir une formation en massothérapie. On me demande, et après, tu vas faire quoi ? Masser. Toucher des gens au coeur de l’intime. Continuer à me former pour les aider à aller mieux, dans leur corps, et peut être même un peu plus loin. Pourquoi pas reprendre d’autres études, en sexologie, cette fois, et en relation d’aide, parce que c’est difficile de s’arrêter une fois qu’on met le pied dedans, parce que je ne peux pas ignorer ce que j’ai traversé cet été. Et le marketing ? Je vais continuer, aussi, parce que j’aime ça, bidouiller des WordPress et engager les gens sur Facebook et rédiger du contenu et imaginer des stratégies. Parce que c’est bien beau la masso mais mon corps est pas fait pour tripoter des gens toute la journée, 39h par semaine, que ça draine, et que faut aussi manger. Parce que j’ai autant besoin de contact humain que de faire travailler mon cerveau, parce que rien ne m’empêche de partager mon temps, même si ça se fait pas, de quitter une job à 2500$/mois avec assurances et « responsabilités » pour un métier « manuel » aux revenus incertains.

Je me suis mariée au printemps dernier. Je ne parle pratiquement jamais de « mon mari », parce qu’à part une bague et une porte ouverte pour un visa*, ça ne change pratiquement rien à ma vie quotidienne. On s’aimait, on s’aime toujours ; on voulait faire notre vie ensemble, on le veut toujours; on a un joli appart plein de meubles IKEA ; ça arrive aussi qu’on s’engueule, qu’on doute, qu’on ne sache plus comment être deux. C’est une jolie case pourtant, mari et femme, on dirait qu’on est enfin rangé quelque part pour la famille et l’administration, et pourtant. Là aussi, ça fitte pas dans le cadre, de se marier avec juste ses amis, sans mairie ni robe blanche, un jour pluvieux d’Avril, en gardant son nom de « jeune fille »**. J’ai tendance à penser que le fait que je sois mariée ne regarde que Dany et moi. Mais ça surprend, souvent, ça bouscule les clichés, on essaye de comprendre.

copyright Jessica Boily 2015

Il y a la vie publique, et la vie privée. Dans ma vie « privée », il m’est arrivé à plusieurs reprises de poser comme modèle photo, pour des séances plus ou moins habillées. J’assume parfaitement avoir fait ces photos, elles n’ont rien de « vulgaire », mais pendant longtemps, j’ai utilisé un pseudo pour publier ces clichés, afin de cloisonner mes différentes existences. Mon identité professionnelle, publique, en webmarketing. Mon identité sur les média sociaux, ce blog, Instagram, Twitter, pour lesquels j’ai utilisé un pseudonyme, parce que je fais partie de cette génération qui a grandi sur les chats et les forums, à l’époque où le web social était un minuscule monde noyé d’anonymat. Je ne voulais pas « tout mélanger », parce que ça ferait pas joli sur un CV, mes live-tweets de Top Chef et mes réflexions d’insomnie – et que dire du fait qu’on trouve mes fesses sur les internettes.

Récemment, j’ai repris des cours d’effeuillage burlesque. J’envisage de monter sur scène un jour, j’espère dans pas si longtemps. Montrer mes fesses sur des photos, montrer mes fesses devant audience, qu’est ce que ça change ? J’aimerais, pourquoi pas, développer cette partie artistique au delà du passe-temps, me réaliser dans l’acceptation de mon corps et de ma féminité.

Plus le temps passe, et plus je décloisonne. Plus le temps passe, et plus « j’assume » l’entièreté de mon identité. Je ne suis pas « plusieurs », je suis une. J’ai de nombreux questionnements, bien sûr – comment présenter un CV si éclectique ? Qui voudra embaucher une femme avec deux métiers (et une tendance exhibitionniste) ? Qu’est-ce qui garantit à mon employeur que je ne vais pas lâcher l’un ou l’autre de mes métiers du jour au lendemain ? Où est la « constance » dans mon expérience et mon cheminement ? Comment présenter cette identité entière à mon avantage, et déjouer les éventuels craintes et préjugés qui seraient associées à mon profil ?

Si tout va bien, d’ici quelques semaines, je pourrais à nouveau reprendre une vie « normale », me tasser un peu, recoller les étiquettes, et rentrer dans la case. Si je le souhaite, il me suffirait d’envoyer des CVs joliment arrangés et passer quelques entrevues pour retrouver le chemin sur lequel j’étais en arrivant à Montréal, il y a deux ans. Je sens pourtant qu’il n’y aura plus jamais rien de « normal ». Trop de choses ont changé, profondément, qui m’interdisent de revenir en arrière.

On m’a parfois reproché mon « trop de transparence » ou de « spontanéité », on m’a aussi dit de faire attention, que ça pouvait être une faiblesse. Avec la mentalité Française, dans certains milieux professionnels peut-être ; ici, avec ce que je fais, je ne crois pas. Je souhaite au contraire croire que mon authenticité est un atout, une richesse autant sur le plan professionnel que dans mes relations inter-personnelles. Cela me fermera peut être quelques portes, mais je ne suis plus à ça près. Si on refuse de travailler avec moi parce que je suis moi-même, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas m’entourer de gens qui se cachent derrière des profils types, qui ont à tout pris besoin de faire rentrer les gens dans des petites cases.

Si tout va bien, d’ici quelques semaines, je pourrais enfin construire ce projet multiple de ma nouvelle vie – devenir travailleuse autonome, partager mon temps (pourquoi pas) entre un emploi à temps partiel dans un spa, des clients à domicile, et des contrats à la pige en web-communication – et peut être, gagner aussi un peu ma vie en montrant mes fesses sur scène et devant l’objectif. Tout est possible. Je l’avoue, j’ai peur, mais j’ai hâte en même temps. Hâte de pouvoir sortir des cartes d’affaires sur lesquelles j’écrirais :

Elodie J. // massothérapeute, stratège-web

Mademoiselle LaNe // performeuse burlesque, modèle photo

 – Femme libre –

copyright Jessica Boily 2015

Photos Jessica Boily, 2015
Notes :
*Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, le fait de me marier avec un Québécois ne m’apporte pas automatiquement la citoyenneté Canadienne, même en tant que Française la demande de résidence permanente par parrainage (dans mon cas depuis l’extérieur du Canada – je reviendrais peut être là dessus un jour pour les explications) prend de 6 à 8 mois à être traitée. En attendant j’ai un permis visiteur ne m’autorisant ni à travailler ni à bénéficier de couverture santé, mais j’ai pu étudier sur une période courte (inférieure à 6 mois)
**Au Québec, depuis la Révolution Tranquille, c’est absolument normal de garder son nom. Légalement, on a le droit d’utiliser le nom de notre mari/femme comme nom d’usage – par exemple dans un cadre professionnel – mais sur le papier, on conserve son nom de famille original.