Intime & Réflexions · Voyages

le Brûle

Photo Manu Al

Eille que j’ai du mal à l’écrire, ce post. Deux semaines que je suis rentrée, et on me demande régulièrement : « alors, c’était comment ? ».

((Résumé des épisodes précédents : je suis partie à Burning Man. Je rêvais d’y aller depuis 2013, c’était planifié pour cet été, et puis non, et puis oui, et on a organisé cette folie avec un mois et demi de préavis.))

C’était comment, Burning Man.

Comment vous dire.

– premier tableau : les éléments –

C’était… la Terre. La Dust, ou poussière, qui vole, au moindre coup de vent, et se transforme en redoutable tempête. Qui se glisse partout, dans les tentes, dans les fringues, dans les souliers, dans la nourriture, dans l’eau. Déposer un objet pour dix minutes, et il se retrouvera couvert d’une fine pellicule blanche. La peau sèche, tire, les cheveux absorbent et refusent de se démêler, les ongles cassent, alors on s’enduit d’huile de coco et on se lave avec du vinaigre pour tenter de contrer l’alcalinité. La Dust et ses tempêtes, terribles, qui t’enveloppent sans s’annoncer, comme un nuage de poudre. Je suis la Dust, il disait. On est tous la Dust, après 8 jours dans le désert. Autour, les montagnes, sèches, superbes, majestueuses, rassurantes, maternelles presque dans ce désert blanc, alors qu’elles se parent de rose et d’orange au coucher du soleil.

C’était… l’Eau. Précieuse. Vitale. Boire entre 4 et 6 litres par jour au minimum pour ne pas se déshydrater sous 40° à l’ombre et 10% d’humidité. Pisser toutes les heures. Checker la couleur, trop foncé, tu bois pas assez, trop clair, tu retiens pas l’eau. Manger salé pour augmenter la rétention, ajouter des électrolytes, du magnésium, et d’autres minéraux. De toutes façons, avec la Dust plus rien ne goûte rien. Pisser dans une bouteille, la nuit, parce que les toilettes sont loin. Se promener avec sa bouteille, et faire des câlins pareil, c’est normal à Black Rock City. Boire, encore. Prendre une douche collective avec 150 autres personnes, tous à poil et on rigole, c’était peut être une de mes expériences les plus délirantes et géniale de la semaine. Se laver dans un seau le reste du temps, et apprendre à faire la vaisselle avec des pulvérisateurs.

Photo Manu Al

C’était… l’Acier. Un 747 posé au milieu d’un désert, un ours polaire, des robots, des robots, des robots (encore), des voitures modifiées, des camions qui crachent du feu, des vélos par milliers, un empilement de voitures, des balançoires géantes, un dôme de feu, une méduse géante. Des camions, des voitures, partout dans la ville, et une file immense sur la route pour venir, et repartir. Des génératrices pleines de gaz, essence, propane. Des carcasses certainement abandonnées après.

C’était… l’Air. Un immense ballon gonflé dans le ciel. Une fausse Lune. Et la vraie. La nuit, on ne voit pas les étoiles à cause de la lumière. Mais la Lune était rouge, au moment de se lever. Et l’air, la nuit, venait geler doucement le creux de nos cous.

C’était… le Bois. Les structures sublimes du Man et du Temple, et une maison dans une maison dans une maison. Le soir où le Temple brûle, on entend le bois craquer, on peut sentir l’odeur du feu et de la flamme, et des étoiles. et.

C’était… le Feu. Bien sûr. Intense. 88 000 personnes dans un désert sec, aride. Un ciel bleu pur, un soleil brûlant. Du bruit, de la musique, des cris, des chants, des discussions, partout, tout le temps. Le jour, la nuit, ça ne s’arrête jamais. Des stimulations constantes. De la lumière, partout, la nuit, des LEDs, des art-cars qui crachent du feu, des arts-cars qui crachent du son, des lasers qui déchirent le ciel. Des camps techno electro trance bass et j’en passe, des scènes prêtes à accueillir 3000 personnes, peut être plus. Des vélos, des manteaux, des oeuvres interactives, ou non, les petites lumières fluos et les lampes frontales sont nos meilleures amies, la nuit.

et-

le Brûle. Le Brûle de l’Homme. Le Brûle du Temple.

Photo Manu Al

– deuxième tableau : les autres –

Je voudrais vous parler des gens, des humains qui font et défont Burning Man, de  ces Burners vétérans, des rangers, des Sparkle Ponies, des milliers de Français (partout) (c’était peut être la 2e langue de Black Rock City après l’anglais), des Virgins comme nous. De l’alcool, de la drogue, du sexe. Des costumes fous, des initiatives, de la beauté des gens. Des liens qui se créent sous l’apparente superficialité des rapports.

Peut être que j’écrirais plus tard, un jour, ou pas vraiment.

Photo Manu Al

– troisième tableau : qui suis-je ? –

Je n’ai pas vraiment souffert de la chaleur, ni du manque de sommeil, ni de l’altitude. Mon corps, globalement, a été un vaisseau solide et rassurant pour traverser cet Océan.

Je n’ai pas été déstabilisée par le contenu. Des gens presque nus, de la sexualité libre, des costumes, une liberté d’expression totale, je m’y sentais parfaitement à ma place, et pas grand chose ne m’a surprise dans la folie de ce quotidien. En quelque sorte, ma réalité Montréalaise, ce que j’ai construit petit à petit depuis plusieurs années, la personne que je suis devenue, se mêlent parfaitement avec cet univers. De plus en plus à l’écoute de ma vérité intérieure, je m’en allais vivre mon premier Burn avec l’impression que je ne subirais pas de décalage brutal entre qui je suis dans le monde normal et ce qui s’exprimerait dans cet espace de liberté totale.

Les premiers jours à Black Rock City, pourtant, ont été difficiles. Tout ce bruit. Tout ce monde. Toute cette agitation. J’ai eu du mal à trouver mon centre, bousculée par  l’absence de repères, l’hostilité de l’environnement, l’apparente superficialité des connexions, l’hyperactivité, la surconsommation. J’ai douté, que faisais-je ici, pourquoi, qu’y avait-il à Black Rock City pour moi, était-ce bien ça ce rêve dont on m’avait tant parlé ? Où était la spiritualité, l’expérience « life-changing » et transcendante ? Déconnectée de mes habitudes de m’occuper des autres et prendre en charge des projets, loin de ma petite communauté de hippies câlineux et de mes forêts Québécoises, et malgré la présence rassurante du Barbu à mes côtés, je me trouvais seule face à moi-même, sans mes masques et mes outils habituels pour me contenir, me protéger, me reposer. Où planter mes racines, comment me nourrir dans ce désert aride ?

Alors j’ai plongé.

Burning Man is a place to surrender, surrender to the elements, surrender to the environment, surrender to oneself. Surrender, and release.

Burning Man est un endroit pour rendre les armes. Lâcher-prise. Lâcher les apparences, lâcher le contrôle, lâcher les tentatives même de faire. Dans cette aventure, je n’étais plus contenue par le rôle social de prendre soin des autres. Je n’avais plus d’autre responsabilité que m’occuper de moi-même, avec aucune référence sur comment le faire dans ce lieu atypique. Je ne pouvais pas être partout, je ne pouvais plus décider grand chose, je ne comprenais rien à ce dont j’avais besoin. En fait mon mental, quelque part, a disjoncté.

Un après-midi, après avoir cherché en vain toute la journée quoi faire pour soulager mon état de confusion, je suis partie me (re)trouver. J’ai roulé jusqu’au Temple, et je me suis assise, au milieu des gens qui pleuraient, du trop plein d’émotions, des photos de défunts, de chiens, des lettres d’adieu, des pensées. J’ai médité, longtemps.

Photo Manu Al

Alors soudain j’étais juste . J’étais. Pour la première fois depuis le début de l’aventure je me trouvais au centre. Dans le chaos émotionnel qui m’entourait, je touchais à ma Vérité. Je cherchais depuis des jours (des mois ?) à craquer, briser, expulser des émotions retenues. Mais j’étais déjà là, et ce qui restait, ce qui résistait encore, loin d’être enfoui, affleurait la surface, ne demandait qu’à être reconnu. Je n’avais qu’à accepter son existence.

J’ai écrit sur une page de cahier quelques mots pour le Temple, que j’ai pliée et coincée dans un recoin de la structure.

J’ai continué, vers la Deep Playa. Je me suis laissé me perdre dans une tempête de Dust, j’ai croisé les formes étranges des oeuvres et des gens, vélos, chapeaux, masqués. Au milieu d’un whiteout, un homme m’a hélée. Tu es perdu ? J’ai demandé. Non, il dit, je fais une série de photos, portraits de la Deep Playa. Veux-tu poser ?

J’ai posé telle qu’elle. Dusty, les yeux flous par le vent, sans aucune criss d’idée de quoi j’avais l’air. J’étais partie sur la Deep Playa pour me retrouver.

Je suis.

Lorsque le Temple a brûlé dimanche, j’ai ressenti sa force, sa puissance, l’émerveillement devant la charge spirituelle du moment – enfin, le calme, enfin, les soundcamps éteints, enfin, entendre le bruit des flammes, sentir l’odeur du feu, et voir les étoiles. Dans la quiétude du braisier, j’ai reçu un message. J’ai reçu la confiance, c’était beau et pur, et évident. Je suis vulnérable, et forte. Je suis sensible, et c’est un don. Je suis en pleine expansion, et je suis minuscule. Je ne sais rien, et je peux réaliser tout ce que je désire.

J’étais libre.

I can surrender and be loved.

I can approve of myself without guilt.

I can overcome my fears.

Alors, c’était comment, Burning Man ?

C’est l’endroit où j’ai pu reconnecter avec ma vulnérabilité.

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