J’avais dix-huit ans, la première fois. J’avais dix-huit ans, et en moi comme un besoin, une évidence, marquer ma peau pour tracer cette cicatrice invisible, dessiner la trace d’une blessure intérieure, un secret bien enfoui. J’avais dix-huit ans, et c’était un oiseau, pas parce que c’est joli, non, parce que Swallow. Parce qu’Ello, avec deux ailes, parce que je voulais jamais oublier, pour cautériser enfin la plaie de cette adolescence brûlante et douloureuse.
Une hirondelle.
J’ai mis huit ans, pour la seconde fois. Huit ans pour savoir qui j’étais. Huit ans pour ressentir à nouveau l’évidence, le besoin, et savoir, précisément, ce que je voulais. C’était en Septembre et on venait de se dire au revoir, et j’avais décidé de tout quitter pour revivre ailleurs. Ça faisait mal, peut être un peu moins que toutes ces fois où on s’était blessés toutes ces années, plus ou moins sans le vouloir, lorsque j’ai soudain pris conscience. Depuis toute petite, cette phrase qui tourne et vire dans ma tête, depuis toute petite cette histoire si belle, si poétique, et ce passage – peut être pas le plus connu, peut être pas celui que tout le monde aurait choisi. La citation n’est pas exacte, mais c’était comme ça qu’elle était gravée en moi, avec la voix de Gérard Philippe et ce petit garçon. Et puis des lignes. Des lignes pour marquer l’évolution, de cette adolescente torturée, blessée, de ce que j’étais, à ce que je suis, à ce que je serai. Des lignes, parce que huit ans pour m’épanouir, parce l’hirondelle avait pris son envol, parce que, enfin, je décidais d’être libre.
Et les épines, à quoi servent-elles ?
Montréal. Des rencontres. La liberté. L’équilibre. Montréal, ces personnes dont on croise le chemin et qui nous font prendre conscience de ce qu’on est au fond, ce dont on a besoin, ce qu’on cherche au mauvais endroit depuis si longtemps. Une évidence à nouveau, une ligne, pour la continuité, droite pour l’équilibre, graduée car on continue, toujours, à grandir, et surtout, près du coeur.
#26
Et puis le dernier. Je ne voulais représenter que l’abstrait, un concept, un flirt avec quelque chose d’extrêmement intime. Expliquer ce sens là, c’est difficile, dire que oui, c’est du bonheur, c’est cesser de se poser des questions, se sentir libre, exister dans l’abandon. Des lignes griffonnées, un enchevêtrement de fils qui se délient, la nuque – je ne me suis plus cachée.
Lâcher-prise.
C’est des rencontres. Celle qui à Bordeaux m’a comprise, et a mis sur ma peau la couleur qui m’imprime, les gribouillis qu’on prend pour ce qu’on veut, les lignes. Le dessin s’est créé de lui même, sur les formes de mon corps, la courbe d’une épaule. C’est cette autre, qui a trouvé comment intégrer un nombre pour ne le rendre visible qu’à ceux qui savent lire au travers. C’est ce récent coup de coeur pour une artiste au trait si délicat, la légèreté de ses dessins pourtant si complexes. Porter une pièce d’art, au delà du symbole.
J’ai eu mal, parfois plus que d’autres, à me demander pourquoi je faisais ça – à nouveau. J’ai eu mal, mais une blessure ne s’appellerait pas comme ça si elle faisait du bien, j’ai souffert comme un rite de passage, le temps d’y penser, de me remémorer pourquoi, que la douleur imprègne ma peau et et que mon corps l’accepte, l’accueille, l’absorbe.Tout doucement ces cicatrices sont devenues miennes. À chaque fois plus rapidement, oubliées dans les quelques heures qui suivent, simplement rappelées à mon souvenir par le grain de la peau, différent, et ces regards qui m’arrêtent parfois – c’est un vrai ? J’ai absorbé ces cicatrices, tracées entre mes grains de beauté, j’ai fait mienne les dessins sur ma peau comme on enfile son jean fétiche. Je ne suis plus surprise, chaque matin, de me trouver ainsi, nue, mais habillée. C’est tribal, c’est symbolique, c’est esthétique, c’est ma peau, ça fait partie de moi. Mon identité illustrée graphique, on aime ou on n’aime pas, ça n’a pas d’importance, et je n’ai pas souvent de réponse à la question « c’est quoi ».
Des cicatrices invisibles. Une trace de mon histoire. Des morceaux de moi.
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Je suis tatouée. Je suis marquée, par la vie, par le temps qui passe, par l’expérience, les découvertes, les voyages, par ce que j’ai vécu et qui font ce que je suis. Désormais, ces cicatrices ne sont plus invisibles. Et au travers d’elles, je respire un peu mieux.
photos: Oognip, LDumasV, Dany.
Tu as choisi ces tatoos, dessins, mots. Ca t’appartient, c’est ta vie, ton corps et c’est simplement….. superbe!
Magnifique, j’aime les tatouages qui racontent une histoire.
Waouh, un article poignant et très beau. Belle poésie et belle image… ♥
N’hésites pas à venir faire un tour chez moi
Bise
Toujours aussi merveilleusement bien écrit bien sûr … toujours aussi touchant, aussi poignant ! Ne cesse jamais d’écrire … Parce que tu fais ca si bien et que ca prend aux tripes de te lire et que même si c’est parfois triste, ben c’est quand même plaisant à lire, parce que c’est encore une fois, merveilleusement bien écrit <3
Comme toujours, une belle écriture, très poétique, mais la personne que je suis se demande, se demande. Qu’elle est cette blessure
secrète. Je sais certains se diront que cette question est indiscrète, mais moi, je
sais, que je peux me là posée….
Bel article 😉 et oui les tatouages reflètent nos cicatrices invisibles ! une bonne définition
Le même cheminement pour moi, mon premier tatouage : trois hirondelles qui s’envolent et non pas parce que c’est joli mais parce que ce symbole est plus fort que mes mots.