Alors, je suis rentrée cette nuit.
J’ai encore des mantras en sanscrit qui résonnent dans ma tête. Ça s’accroche dur, ces machins là. Je sens mon corps qui bouge, et se contracte différemment. J’ai des nouveaux muscles, je dis. Et puis il y a ce décalage étrange. Mon rythme interne, ma perception des choses, du temps. Ma sensibilité, aussi.
J’ai quitté l’ashram avec un drôle de pincement, entre la tristesse de partir, l’impression d’abandonner quelque chose de moi là bas, et la joie, de retrouver ma vie ici. Je crois d’ailleurs que c’est comme ça qu’on réalise si on l’aime, cette vie. Être heureuse de rentrer à la maison après une semaine dans un endroit paradisiaque, libre de toute responsabilité.
Pour celleux qui ne m’ont pas suivie sur snapchat twitter et autres, je suis partie passer une semaine dans un ashram de yoga Sivananda, aux Bahamas. Un ashram est un lieu dédié à la méditation et la pratique du yoga, avec un mode de vie en accord les principes de l’ayurvéda et la spiritualité. Plus spécifiquement dans ce type d’ashram est pratiqué le yoga selon Swami Sivananda et ses disciples, dont l’un d’entre eux, Swami Vishnu Devananda, a amené le yoga en Occident.
C’est difficile de répondre à la question qui m’a souvent été posée, sur les réseaux sociaux ou par des amis : qu’as-tu retiré de cette expérience ?
Les premiers jours ont été difficiles, honnêtement. Déstabilisant. Se retrouver dans une communauté dont j’ignorais les règles et coutumes, avec l’impression que chacun savait quoi faire et où se placer. Et puis la solitude, qui avait été un semi-choix (je n’avais personne avec qui partir en vacances, c’est aussi pourquoi j’ai choisi ce type de séjour), et qui s’annonçait pour moi l’hyper-sociable comme un défi important. Enfin, le temps. Car là bas, le temps prend une autre consistance. Que faire de ces heures à… ne rien faire ? Mon hyperactivité a été mise à l’épreuve.
En discutant avec d’autres personnes, il semble que ce délai d’adaptation soit habituel. Effectivement, le troisième jour, je me suis levée naturellement pour aller à la pratique de 8 heures, et j’ai commencé à savoir comment remplir mes journées sans avoir l’impression que le temps s’écoulait à une seconde par heure.
Une fois passé ce temps d’adaptation, le rythme est pris. Réveillée par le soleil à 7 heures (je dormais en tente), une pratique le matin à 8 heures, un repas à 10 heures, un atelier, visite, ou temps à bronzer sur la plage ou me promener, pratique de l’après midi à 16 h, le deuxième repas à 18 heures, un moment détente, et me coucher vers 22 heures. Si j’ai essayé de me tenir à ces deux pratiques d’1h45 chacune chaque jour, je n’ai pas vraiment été assidue pour les satsangs, méditations collectives qui commencent et terminent la journée. J’avoue que la présence d’un chanteur de « chansons sacrées » aux paroles vraiment niaiseuses m’a un peu refroidie après la deuxième à laquelle j’ai assisté. J’ai préféré occuper ce temps à lire, marcher, écrire.
Le yoga Sivananda est basé sur les postures du hatha, et sur la pratique de respirations (pranayama) (ainsi que trois autres principes). À chaque classe la même routine, pranayamas, salutations au soleil, et les 12 asanas (postures). Entre chaque asanas, une relaxation. C’est une routine stricte et bien différente des yogas « adaptés » qu’on trouve dans la plupart des studios d’Amérique du Nord, mais extrêmement intéressante, et qui m’a beaucoup appris sur ma pratique du yoga que sur moi-même.
Un des profs, Arjuma, un « vétéran » du yoga Sivananda devenu prof un peu par hasard en 1982, avait l’habitude de dire de certaines postures qu’elles nous mettent face à nous-même, qu’elles viennent chercher des cicatrices absorbées par le corps, et les travailler. Il disait ceci particulièrement concernant le shoulderstand (équilibre sur les épaules, ou la « chandelle » comme in disait quand on était gamins). Je peux dire que j’en ai une grosse, de cicatrice, au milieu de mon dos, je la connais depuis des années. Et qu’elle a travaillé fort.
Petit à petit, jour après jour, pratique après pratique, j’ai senti mon corps et mon esprit abandonner leurs défenses. J’ai senti ce point dans mon dos lancer jusque dans mon bras droit, puis disparaître. J’ai pu aller de plus en plus loin dans certains asanas, rester dans les postures et les méditations plus longtemps. J’ai senti mon corps se renforcer, ma posture se redresser, l’énergie circuler différemment. Je n’avais plus faim entre les deux repas. Et mon rythme, doucement, s’est ralenti, a pris la forme et la texture de ces journées chaudes, la lenteur de ces pratiques.
Quelque part aussi, une de mes peaux s’est arrachée. Une couche qui tenait encore pour me protéger du monde extérieur. C’est difficile à expliquer, je m’en suis rendu compte à mon retour où, tenant une personne que j’aime dans mes bras, je me suis sentie complètement perdue, vulnérable, pas fragile, mais comme lorsque la peau pèle et que la couche en dessous est plus sensible.
Je me sens changée. Pas en mon centre, celui ci reste fort et solide, je pense que je l’ai bien reconstruit l’an dernier. Non. Changée dans mon équilibre, dans la façon dont mon énergie existe et se produit en moi. Changée dans ma perception des choses (je vais pas commencer à vous raconter mon expérience avec les énergies et les chakras, je passerai pour une folle). Changée dans cette couche qui quelque part a été arrachée à force de shoulderstand, de poisson, et de me « retrouver face à moi-même ». Présentement, il s’agit un retour à la réalité, retrouver mes repères, et le rythme nécessaire pour fonctionner « normalement ». Une décompression, disent les Burners*.
Je sais que je vais retrouver mon équilibre antérieur, rapidement. Mais je voudrais me souvenir que cet état existe, ce sentiment d’être dans le présent et pouvoir ralentir le temps.
« Asana consists in three parts. The two easiest are to enter the posture, and leave the posture. The most difficult is to be. There is the true meaning of yoga. Don’t do. Be. » – Les sages mots d’Arjuma
(« Chaque asana comprend 3 parties. Les deux plus faciles sont d’entrer dans la posture, et sortir de la posture. Le plus difficile est d’être. Voilà le vraie sens du yoga. Ne pas faire. Être. » )
Pour plus d’infos sur le yoga Sivananda, les retraites et les autres façons de pratiquer :
https://www.sivanandabahamas.org
Il y a des ashrams en France, en Inde, et en Amérique du Nord (dont celui de Val-Morin au Québec qui est le premier fondé par Swami Vishnu Devananda), ainsi que des cours dans des centres dédiés dans les grandes villes.
Et pour les questions, les commentaires sont ouverts !