J’écris plus. Ici, j’écris un peu ailleurs, parfois. J’écris plus, je poste plus tant de photos sur IG, je partage moins ma vie sur les internettes, hormis peut être twitter.
J’écris plus, j’ai perdu la routine et l’entrainement pour trouver la musique originale des mots. Je suis occupée, souvent, je suis moins sur mon ordi surtout. Ma vie est un si beau tourbillon depuis des mois, si doux, si joli, si plein de ces personnes merveilleuses et du printemps sans fin, de l’été pas si chaud, de Montréal, de musique, de nuits blanches, de lacs, de forêts, d’avions, aussi.
J’écris plus parce que j’ai plus grand chose à dire, j’ai moins de mots qui circulent dans ma tête et demandent à sortir. Je les vis, les choses, dans mon corps et ma peau.
En fait si j’aurais tant et tant à raconter, mais ce serait si long, et si compliqué de trouver les mots justes, les mots qui disent « je suis heureuse, je suis centrée, je suis enfin« . Et aussi, je suis amoureuse, follement, je les aime plusieurs, et tou.te.s à la fois dans leurs beautés singulières, et je fais l’amour avec mon corps mes yeux mes mains mes mots et toute cette vie qui brûle en dedans. Je suis passionnée, si passionnée de ce métier qui me remplit et m’apporte tant. Je suis libre, surtout. Libre comme j’ai jamais été, libre d’être moi toute entière, libre d’aimer, de dormir, de vivre, de baiser, de dire non et stop, libre d’exister.
Au travers d’eux, de moi, de nous, au travers des mois qui s’écoulent et des changements d’heure, j’ai eu 31 ans. Je grandis encore chaque jour un peu plus. Je change, ou plutôt, je me découvre.
Dans ces nouveaux paysages, je me promène. J’expérimente des sensations inconnues, je développe des réflexions, je m’observe et j’apprends des autres, aussi, doucement, je me mets à croire pour vrai en mes rêves. Et puis il ya ce sentiment étrange. Plus j’avance, plus j’accumule de certitudes et d’évidences. Et pourtant, plus j’avance, et plus j’accède à l’immensité de tout ce que je ne sais plus.
Je plume. Couche par couche, des mues successives qui s’arrachent parfois dans les cris, la douleur et les respirations. Renaissances infinies, je me sens parfois si vulnérable, et si nue sans ma peau dure et mon armure de contrôle. J’acquiers l’équilibre tandis que le chaos achève de me (dé)construire. Et je me vois alors, enveloppée d’un litre d’huile chaude sous les mains d’une présence chaleureuse, je me vois, si fragile.
Je suis fragile. Je me répète, presque nue sur cette table. Je suis fragile, et si vulnérable, et sensible, et c’est là toute ma force et ma faiblesse à la fois. Je perçois l’autour avec tant de violence, je dois mettre mes limites – ces fameuses limites qu’il m’a fallu apprendre à concevoir, établir, puis à poser – mais comment se protéger dans un monde de grandes personnes et de responsabilités ? Comment faire savoir qu’on est multiple, force et fragile, sérénité et mouvement, transformation constante, éponge empathique, hyper intuition, déstabilisation facile ?
C’est peut être votre évidence. Pour moi, c’est encore un effort à chaque pas. Accepter cette vulnérabilité, m’ouvrir, apprendre à percevoir, à recevoir, pour mieux accompagner les autres à trouver les portes et leur propre cheminement sans trop m’impliquer, et surtout, ne pas me perdre, là-dedans. Me fabriquer ce cocon qui me permet d’exister au dehors. Reconstruire autour de moi la peau qui s’est parfois violemment arrachée sous la tempête, les coups et les émotions.
Le mot-clé c’est bienveillance, et authenticité, et on est quelques uns à en avoir fait notre philosophie. On est un petit tas qui se serrent les uns contres les autres, la nuit pour se tenir chaud. On est une bande de doux rêveurs et d’hypersensibles qui croyons qu’on peut créer pour vrai le monde utopique qu’on s’est inventé. On est cette bulle Bizarre au milieu du vrai monde.
C’est eux, mon fuel, mon île, mon espace sûr. C’est eux, mes amants, mes amours, mon polycule.
C’est parmi eux, multiples, que je me tiens désormais debout.
Émotion, du latin « ex movere », « ex » signifiant « au dehors », et « movere », se mouvoir, agiter, ébranler, bouger – le mouvement.
Depuis l’enfance, on nous apprend à contrôler nos émotions. Ne pas être en colère, c’est mal. Ne pas être triste, sauf si on a une « vraie » raison, mais faudrait pas que ça dure trop longtemps, reprends toi. L’envie fait partie des 7 pêchés capitaux, comme la colère. On grandit, il faut agir comme un adulte. Il ne faut pas pleurer en public, on ne dit pas je t’aime « comme ça » il faut assumer les conséquences, on tait ses peurs, on absorbe le stress. C’est pas bien, de s’exprimer trop fort. Même le bonheur, parfois, il faut pas trop le montrer – ça pourrait rendre jaloux les autres, d’étaler son bonheur comme la confiture sur les réseaux sociaux, ça fait se sentir minables tous ceux qui n’ont pas une vie parfaite.
Moi aussi, pendant des années, j’ai gardé mes émotions bien au fond de moi. Enfin, j’ai appris. J’étais en colère, ado, en colère contre tellement de choses parce que c’est ce qu’on vit à cet âge là. Parce que j’étais amoureuse de deux garçons et que ça se faisait pas. Parce que des inconnus au lycée qui me connaissaient à peine se permettaient de m’appeler « cochonne » lorsqu’ils me croisaient dans les couloirs, sous prétexte que je portais des jupes un peu trop courtes et que je parlais librement de sexe. J’étais en colère parce que comme beaucoup d’autres filles, j’ai subi un (des ?) abus sexuels, que je me suis sentie à la fois coupable et victime, coincée entre une immense injustice, mais c’était plus facile de se taire. Je suis restée en colère longtemps, mais j’ai rien dit, parce que ça aurait fait trop de mal si j’avais parlé, parce que j’étais indirectement responsable, parce que anyways personne ne pouvait rien faire pour moi. Je me suis tue. J’ai gravé une cicatrice à l’encre sur ma peau pour ne jamais oublier. J’ai arrêté de manger.
Les années ont passé. J’ai croisé le chemin de personnes merveilleuses qui m’ont réappris à m’estimer, à me respecter, à m’aimer. On m’a aimé, très fort, et puis c’était fini, comme ça. J’ai frappé dans des murs, déchiré des t-shirts, cassé une table, mais ça ne changeait rien, alors j’ai tout mis dans une petite boite, et poussé ça au fond de ma gorge, encore une fois. J’ai continué à me taire. J’ai été là pour les autres, et c’est comme ça que je me suis sauvée. J’ai rangé bien au fond les émotions négatives, j’ai construit une jolie carapace de fille forte, optimiste, de bonne humeur, une fille sur qui on peut compter. J’ai rarement craqué. J’étais là pour apaiser les crises de panique de L., là pour faire la fête, là pour aimer les cons, les gentils, ceux qui ne resteraient pas, là pour pardonner.
Je suis tombée amoureuse, à plusieurs reprises, j’ai souvent cru que c’était « le bon ». À nouveau, j’ai aimé et désiré deux personnes en même temps, mais ça se faisait pas, non. Il fallait rentrer dans le cadre. Il fallait garder bien caché mon point de vue sur l’amour, le sexe, la liberté de s’exprimer, d’exister, de se réaliser. Parce qu’une femme ça doit pas parler trop fort. Ça doit pas s’habiller trop sexy. Ça doit être jolie et intelligente, mais pas gagner plus que son mari. Ça doit pas trop donner son avis au bureau, et surtout pas dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, parce qu’on passerait pour une hystérique. Sois belle, et tais toi. Je pensais alors réaliser ce qu’on attendait de moi.
Un jour j’ai commencé à faire des crises de panique. J’étouffais, mon corps explosait de toutes ces choses que je lui avais fait avaler, ce trop plein d’émotions enfouies, ces tonnes de boites accumulées. Des vieux souvenirs moches sont remontés à la surface – tellement présents que je ne savais parfois plus faire la différence entre le passé et la réalité. J’ai consulté. J’ai vu une psy géniale qui m’a énormément aidé. J’ai fini par regarder ma vie en face, cette belle cage dorée qui ne me convenait pas, et m’envoler pour Montréal, décorant mon corps de lignes de vie.
J’ai encore continué à me taire, pourtant. Je n’ai rien dit face à cette boss tyrannique et perverse qui me faisait sentir plus incompétente à chaque jour. Je suis restée sans voix lorsqu’on m’a viré sans explication, en 15 minutes chrono, et que mon projet de rester à Montréal s’est soudainement effondré. Je n’ai pas su dire je t’aime à toutes ces belles personnes avec qui j’ai fait un petit bout de chemin, par peur de les faire fuir. J’ai écouté mes ami.e.s qui en avaient besoin, en évitant de trop parler de moi quand ça allait pas, parce que c’était pas le rôle que j’avais pris. J’ai jamais dit à mes parents que j’avais peur, non, je voulais leur prouver que je savais ce que je faisais, je voulais leur montrer que j’assumais mon choix, malgré les obstacles, que je me prenais en main. J’ai jamais été capable de demander de l’aide. Je pensais que j’avais une telle réserve, une force qui me permettrait de traverser tout ça comme une grande, qu’il suffisait juste d’y croire, et surtout, de ne pas flancher. J’ai à peine pleuré, quand j’ai eu un nouveau refus de permis, l’hiver dernier. J’ai continué à empiler des boites tout au fond dans mon ventre, les unes après les autres, pour ne pas m’encombrer. J’ai décidé de faire un métier où je pourrais faire du bien, parce que c’est ça que je sais le mieux faire, m’occuper des autres, pour enterrer le fait que moi ça va pas.
Et puis.
Rebelote. Le corps qui ne suit plus, les boites qui explosent les unes après les autres, la douleur, les insomnies, les larmes, les f*cking décharges émotionnelles, les crises d’angoisse, les crises de panique, les anxiolytiques, tout foutre en l’air, tralala. La réponse que je n’attendais plus, et réaliser que je ne suis même plus capable de m’en réjouir. J’ai tellement bloqué mes émotions que même la joie ou le soulagement ne sont plus capables de s’exprimer que par l’isolement et l’agressivité.
Thérapie, bis. Après avoir pleuré tout mon corps je vomis des mots. Ça ne s’arrête plus, j’exprime, j’exprime, et ça sort petit à petit, on a ouvert les vannes, des mois (des années ?) de silence, de musellement. Je sors les peurs, l’anxiété, l’insécurité ; la joie, l’amour, le bonheur ; et puis la frustration, la tristesse, le manque, le trop plein qui reste encore, malgré tout ce qui est sorti. Mon émotion se nourrit d’elle même, et en s’exprimant, fait réagir les autres, générant à nouveau de nouvelles émotions.
On est là, dans ce cercle infernal. C’est libérateur, et pourtant paniquant. J’aurais aimé enlever une boite par une boite, évaluer une à une les émotions qui s’expriment, contrôler le flux, mais ça se passe pas comme ça. Tout s’effondre, tout s’exprime, et c’est l’anarchie totale. À fleur de peau, je voudrais laisser sortir ce qui me bouffe à l’intérieur – et c’est brouillon, bordélique, brutal, parfois violent ; mais il y a les autres – ceux qui reçoivent en pleine face, ceux qui subissent, ceux qui ne comprennent plus, ceux qui voudraient, eux aussi, qu’on les écoute. Je voudrais demander de l’aide, mais on ne sait pas quoi faire avec moi. Je me suis toujours occupée de moi toute seule, après tout, c’est pas comme ça qu’on a construit les bases, alors ça déstabilise, puis moi non plus, je sais pas (me laisser) faire.
Le problème, quand on exprime ses émotions, c’est l’impact que ça a sur les autres. Et c’est pas vrai, qu’on s’en fout de ce qu’ils pensent. C’est pas vrai qu’on s’en fout de faire du mal. On avance, pourtant. On casse des oeufs, on fait des omelettes, on verra bien ce que ça donne. On essaye d’éviter les dommages collatéraux, trop souvent inévitables.
C’est peut être ça, le plus difficile dans tout ça. Penser à soi, protéger les autres. Ne plus se taire, épargner ceux qui peuvent en souffrir. Manger des coups, éviter de les rendre. Rester humble, conscient, reconnaître lorsqu’on est allé trop loin, accepter que ce soit parfois trop tard.
J’aimerais qu’un jour à l’école de la vie, on nous apprenne à exprimer nos émotions, mais aussi à accueillir celles des autres. Qu’on nous explique comment vivre et ressentir sans être toujours en contrôle. Qu’on n’ait pas peur d’être aimé, ou de trop demander. Qu’on apprenne à poser nos limites, aussi, pour se protéger. Apprendre l’équilibre étrange entre bienveillance, conscience, et lâcher-prise.