Montréal, Québec

changer

Seize mois à Montréal. C’est court, et c’est pourtant déjà une de mes plus longues relations – et elle n’est pas prête de finir. Loin de l’amour-haine que je portais à Paris ou de ma fascination pour Marseille, le lien s’est créé très vite avec Montréal. C’est une ville facile, qu’on aime rapidement, qui vous offre sa douceur de vivre et son ambiance particulière. Pas de cachotterie, elle s’offre à qui veut bien la prendre, et rares sont les personnes qui n’ont pas succombé.

En seize mois j’ai beaucoup changé. Ce n’est pas juste Montréal qui a joué, c’est des rencontres et des expériences nouvelles, mais j’aime à croire que rien de tout cela ne serait arrivé à Paris. Montréal a ce talent, si on sait s’y ouvrir, de révéler les choses positives, de prendre du recul sur le monde, de nous laver du stress et de l’agressivité qu’on trimballe dans la capitale métropolitaine. Avec l’impression de m’être (re)trouvée. L’impression qu’ici, tout peut arriver.

paris-posterLa faute – ou non – à mes deux colocs écolos et végétariennes, je fais beaucoup plus attention à ma façon de consommer. J’achète bio ou équitable quand je peux (et quand les produits me conviennent). J’essaye d’acheter local l’été (va trouver des fruits et légumes poussés au Québec en hiver ^^). Je prends du PQ et du sopalin recyclé, je mange moins de viande et quand j’en achète, c’est bio et sans antibiotiques. Je me suis surprise à pester contre l’absence de classification claire pour les oeufs – faque j’achète des oeufs bio pour être sûre que les poulets ont de l’espace pour se retourner.

Ici, c’est globalement plus facile d’acheter bio. On trouve de nombreux produits labellisés, à des prix tout à fait corrects. Et puis bizarrement j’ai commencé à me poser ici des questions que je ne m’étais jamais posées en France sur l’origine de ce que je mange. Ça me dérange de manger du poulet bourré aux hormones – pourtant en France je suppose que les animaux d’élevage bouffent autant de médicaments qu’en Amérique du Nord.

Dans le reste de ma consommation aussi je me surprends à me tourner vers des marques « made in Québec » – même si j’achète encore occasionnellement chez Zara, je n’ai pas mis les pieds chez H&M depuis des mois (exception faite de mon retour en France).  On est encore loin du tout local/tout bio, j’utilise toujours du make up Sephora, mais j’essaye de me tourner vers des cosmétiques plus naturels et non testés sur les animaux (ici c’est interdit pour les cosmétiques – Europe, prends en de la graine). Anyway niveau fringues, j’ai complètement abandonné mon look de Parisienne en robe et talons. L’hiver, c’est le confort et la chaleur qui priment, le reste de l’année aussi : on marche beaucoup, les stations de métro sont bien plus éloignées les unes des autres qu’à Paris, et j’ai acheté un vélo. Résultat: mes escarpins attendent sagement les rares occasions que j’ai de les sortir, ma collection de Vans s’agrandit, et j’envisage l’achat de Doc Martens pour l’automne prochain. Fini le jeu des apparences, et tant pis si j’ai l’air d’avoir 5 ans de moins (on me donne en général pas plus de 25 ans).

vans-montrealPolitiquement, le pays des Bisounours (je mets de côté les flics assez violents) et ses carrés rouges ont dû avoir raison de moi. Plus sérieusement, si j’ai voté (centre quand je le pouvais) à droite pendant plusieurs années, j’ai fini par me dire que si j’avais tant d’amis de gauche, y avait peut être quelque chose à comprendre. Comme le fait que mes valeurs ont toujours été à gauche malgré l’absence de leader capable de m’y faire croire. Merci les scandales et excès de la droite de ces dernières années d’avoir contribué à me dégoûter d’eux. Si je suis loin d’être aussi engagée, je me surprends à comprendre et partager les avis de certains de mes amis Mélanchonnistes, voire Anarchistes. Je crois que le Québec, loin d’être parfait, aurait beaucoup de choses à nous apprendre sur la manière de mixer social et libéralisme (on est en Amérique du Nord, ne l’oublions pas). Je regarde avec beaucoup de questionnements le FN gratter du terrain. Je ne comprends pas. Où est passée ma France ?

Je n’ai plus peur dans la rue le soir. En fait, je n’ai plus peur tout court. Ici, à part pour le vol de vélo (sport national), la délinquance est à peu près à zéro. Pas de harcèlement de rue, et tout le barouf qui a été fait là dessus sur Twitter me semble complètement fou par moment tellement ma réalité est différente – c’est à peine si on se fait regarder quand on porte talons et mini jupes – oh bonheur de la culture anglo-saxonne qui mixe allègrement et sans se poser de question jupe courte et décolleté le samedi soir sur le bas de Saint-Laurent. Ici, c’est pas un drame de coucher le premier soir. C’est pas un drame de coucher tout court. Les filles draguent autant que les gars, si c’est pas plus. Heureusement qu’on a importé quelques petits Français pour faire le premier pas – et les parte d’appartement ont des airs de soirées étudiantes. Il y a ce truc magique de se fréquenter avant de sortir ensemble, de s’essayer avant de parler d’amour, d’exclusivité, d’engagement. La vie est légère, on sort on s’amuse. On n’a pas peur, on verra bien ce que sera demain.

montreal-lumiereOn est tous des adulescents. Il règne une atmosphère d’insouciance, même si certains se posent pour faire des enfants, ça vient tôt, ou ça vient plus tard. Pas de stress, on a le temps. D’ailleurs, vivre en coloc est très courant ici – à 28 ans, à Paris, on vit en couple, ou dans un studio minuscule.

Je pourrais continuer la liste, longtemps. Il y a des choses qui se sont faites très naturellement, et dont je me questionne aujourd’hui sur le pourquoi ça s’est fait sans y réfléchir. Comme une évidence. Comme ces relations où tout est simple, facile, sans prises de tête ni remises en question. La néo-hippie en moi s’exprime, je retourne à mes amours d’adolescente, la maturité en plus. L’évolution n’est pas terminée, je pense, mais ça suit son chemin. Toujours dans le juste milieu, dans ce qui me semble bien, en essayant de faire évoluer et enrichir mes réflexions.

Voilà. Je regarde ces années Parisiennes avec un sourire. Celui qui sait que ce ne sera plus jamais comme avant. Car en seize mois (et presque deux ans loin de mon ancienne vie), j’ai appris deux choses très importantes : le lâcher-prise, et le goût de la liberté.

Intime & Réflexions · Voyages

deux semaines

air-transat

Voilà, je suis en France. Non, c’était pas prévu, c’est pas non plus un souci de Visa, ni un retour définitif (ouf). Ma maman a eu un accident de vélo lundi dernier – un accident stupide d’enfant qui s’amuse avec ses copines, une chute version soleil, un voyage en camion rouge avec de jolis pompiers, un passage en chirurgie. Bassin fracturé, poignet cassé, immobilité forcée, plusieurs mois de rééducation à venir, et un voyage prévu au Québec en Mai pour me voir reporté jusqu’à nouvel ordre. J’ai reçu le texto de mon père, et puis j’étais là le ventre serré et puis on s’est parlés au téléphone. J’ai vu ma mère sur un lit d’hôpital, coincée. J’ai imaginé ma mère immobilisée, et comment ça devait la rendre dingue. J’ai senti comme elle devait être triste et en colère de pas pouvoir me voir.  J’ai pas trop réfléchi. J’ai pris un billet d’avion pour dans trois jours, et je suis rentrée. Puisque ma mère ne pourra pas venir à Montréal, c’est Montréal qui viendra à elle.

Deux semaines, comme une éternité. J’ai prévenu mes amis, vu en coup de vent ceux qui vont me manquer, pensé fort à ceux que je pouvais pas voir. J’ai prévenu ma coloc, changé la litière du chat, fini d’installer Albert le nouveau lave-vaisselle, fait le chèque du loyer, envoyé mes impôts, payé mes factures. J’ai mis des robes et des sandales dans ma valise, et pris beaucoup trop de fringues que je porterai pas, comme d’habitude, en me disant que ça me limiterait en shopping (comme d’habitude). J’ai texté les copains de France et pris des billets pour Paris – pour voir les amis, ceux qu’on a vu à Noël, ceux qu’on verra cet été, ceux qui disent « on viendra te voir » et qui n’ont pas l’argent/le temps/autre et dont on a arrêté d’espérer la visite ; et puis deux jours pour aller mettre mes pieds dans l’Océan et respirer l’air iodé, parce que ça fait bien trop longtemps.

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Alors voilà. Je suis chez mes parents. Je sais pas si c’était le truc le plus sensé à faire à ce moment mais c’était la seule chose dont j’avais envie, la seule chose qui me semblait à faire dans ces circonstances, une évidence. Le vol a été long. L’attente à l’aéroport a été longue. J’ai eu envie de m’endormir, plusieurs fois, malgré la douche et le café, et je me suis endormie – pour pas longtemps, parce qu’il fallait partir à l’hôpital, en moto pour éviter les embouteillages, même que j’ai cru que j’allais tomber tellement j’étais fatiguée. Et puis je suis arrivée avec mes 7 heures de vol et mon jetlag dans la gueule, et j’ai vu le sourire sur le visage de ma maman, ce sourire au dessus des draps bleus, dans cette chambre franchement pas joyeuse, avec cette vieille dame quasi momifiée juste à côté, et j’ai su que j’avais bien fait.

C’est bizarre d’être là. Partie si vite que j’ai pas eu le temps de m’y préparer. Deux semaines loin de Montréal, loin de mes amis, loin de Dora, loin de ma vie. Ils me manquaient déjà avant même de partir, et je sais que je serai heureuse de rentrer, en attendant, je profite d’être là. Ici, comme toujours, la sensation d’être partie hier, que rien n’a changé. Ici, les arbres verts purs, le ciel bleu, le soleil pour chauffer mon visage. Ici les pubs avec Tony Parker pour vendre des voitures et Tony Parker qui sort sa ligne de vêtements. Ici le Sud, les gars en full-look survêt’ et les filles trop maquillées, les gens qui parlent fort, les magasins bondés où on te dit pas bonjour. Ici la bouffe qui a du goût, le vin pas cher, les restos pieds dans l’eau, vu sur Marseille. Ici la France. Ici mes origines.

niolon

Je parle beaucoup trop de Montréal. Je dis « au Québec on », et je m’en veux d’avoir repris trop vite mon accent et mes expressions françaises – même si parfois j’hésite sur un mot, me disant qu’ils ne vont pas comprendre. J’ai envie de dire à ma mère et à ma famille d’arrêter de me demander si j’ai un copain, parce que non. J’ai envie de dire à mon père qui fronce les sourcils sur l’achat d’un lave-vaisselle alors que j’ai pas de boulot que non, y a pas à s’inquiéter. De leur raconter ma vie, la vraie, ma liberté, comment chaque jour qui passe est plein de surprises et de petits bonheurs, comment beaucoup de choses ont été bousculées mais que c’est bien. Je suis chez moi comme en jetlag, lieux familiers, rien n’a changé, et pourtant tout. Ce tout en dedans, ce tout bien plus profond, ce qui me fait, moi.

Deux semaines.

aix