On a déjà choisi la disposition des meubles, dans la chambre, et l’endroit où on mettra la litière de Dora. Faudrait pas la perturber, surtout, c’est sensible ces bêtes poilues là. Parce que j’ai peur qu’elle prenne la fuite, qu’il y ait trop de bruit, trop de gens, qu’elle panique, comme quand on passe l’aspirateur et qu’elle reste prostrée sous un fauteuil à l’autre bout de l’appart pendant 3 heures. Alors on fera attention, j’ai dit, on la mettra dans la salle de bains.
Faut savoir qu’elle a mis 3 jours à se remettre quand on a déplacé le frigo de 3 mètres dans la cuisine. Un jour par mètre.
Ça fait combien, 16 coins de rue, en mètres – 12 vers l’Est, 4 vers le Sud, je les ai comptés – est-ce qu’elle va retrouver ses repères – et puis j’ai lu que les chats aiment les boites parce que ça les apaise. Ça tombe bien, elle aura que ça, des boites pour dormir et s’apaiser dedans.
On a mesuré le tapis pour voir s’il rentrait, et le placard pour les électros. Moi j’étais sûre que y aurait pas la place pour un banc dans le couloir et j’ai raison, mais peut-être qu’on pourrait quand même poser des patères sur le mur, et mettre le banc et les souliers dans le bureau à côté de l’entrée. Anyway, du rangement, y a que ça – six placards, un pour le linge d’hiver, un pour mes robes, l’autre pour tes chemises, et tu seras pas obligé de les empiler à plusieurs sur une chaise, même la moppe et le balai pourront respirer loin de ma paire de skis dans un espace rien qu’à eux.
C’est qu’on en a, du stock, et t’as beau dire que ça va être vite empaqueté, je crois pas, j’hallucine juste sur la quantité de choses que j’ai amassées en seulement deux ans.
Je sais déjà que je vais râler, les ongles défoncées à cause de la poussière et les doigts crevassés par les boites – parce que je suis ce genre de fille qui se blesse avec du carton. Je vais chialer parce que j’ai trop de stock, que c’est chiant à ranger la vaisselle, que pourquoi ce criss de meuble IKEA se démonte pas et merde où est-ce qu’on a rangé ce truc déjà ? Je sais que je vais regretter la date du 28 février parce que c’est quand même encore l’hiver et je me rends pas bien compte c’est quoi porter des boites et des bouts de meubles sous une tempête de neige – peut-être qu’il fera frette en estie, du genre non c’est pas encore le printemps pantoute – et quelle idée stupide de faire ça si tôt. C’est clair que ça va être folko, le genre dont on se souvient des années après – comme cette fois où on a dû allumer les cigarettes avec le grille-pain parce qu’on trouvait plus les briquets, et l’histoire de la copine Maryne qui avait fait des boites pas fermées.
On va s’engueuler peut être, se prendre la tête sûrement, et tant pis si c’est la pire idée de déménager un 1er mars. Je sais que ça durera pas.
Du rien du tout, ce déménagement. On aura encore plein de raisons de chialer encore plus, après ça. S’engueuler sur des trucs à base de rangement anarchique de fringues, de comment on étale le beurre et de nettoyage de pot de Nutella ; de pourquoi j’ai abandonné Albert le lave-vaisselle et t’as laissé des poils de barbe dans le lavabo ; et puis des conflits territoriaux entre Dora et le mini-chien du voisin, du bruit à cause du nouveau né du palier d’à côté.
Tant pis, parce qu’il est beau cet appart. Il a du parquet et des fenêtres et une jolie-mini-salle de bains. Et du soleil, du soleil partout par les fenêtres. Et tant pis si on se chicane sur des affaires de la vie en commun. Tant pis si on s’ostine un peu, parfois, si on part bouder chacun dans son coin, et si on jette quelques assiettes (en plastique) et qu’on claque fort les portes pour faire plus cinéma.
Au final, ce qui compte, c’est qu’on aura enfin de vraies raisons pour du make-up sex. C’est qu’on va pouvoir se promener à poil si on a trop chaud, et pas se poser de questions si on fait du bruit. Ce qui compte, c’est que je vais pouvoir te dire bonne nuit chaque soir, et voir ta face de gamin au réveil chaque matin.
Et ça, c’est bien.