Il y a eu d’abord la période des prénoms, des fantasmes, un, deux, trois – je savais déjà que ce serait plusieurs. Je ressentais quelque part un jugement pour ma mère, qui s’était arrêtée après mon frère, deuxième et dernier, deux ans après ma naissance. Pourquoi tu n’as pas eu de troisième, je lui disais, oui pourquoi ? L’enfant que j’étais alors ne se tournait pas vers mon père, figure moustachue trop occupé à des « choses de grandes personnes » pour s’intéresser à mes réflexions de petite fille. Trop fatiguée, répondait ma mère, 36 ans, deux bébés, personne pour m’aider.
Je ne réalisais pas alors le courage, la patience, la force qu’il lui a sûrement fallu pour nous supporter, temps plein, nuits blanches, plus tard maison en construction, et personne autour pour la décharger. La famille absente, éloignée, fâchée. Jusqu’à mes 7 ans je n’ai eu qu’un grand père qui nous gardait parfois les week ends et nous autorisait à nous gaver de cerises rouges et juteuses à même l’arbre.
Je me disais aussi – la moi enfant et préado, pétrie d’avis péremptoires sur les choses et la vie – qu’en aucun cas je n’aurais des enfants aussi tard que ma mère. 34 et 36 ans. Pas d’allure. Chiffres inatteignables. Exception pour sa génération. Les mères de mes ami.e.s étaient toutes plus jeunes, preuves exemplaires de la capacité à pondre un troisième « rebond« , bien souvent bébé de la dernière chance, pour éloigner le divorce ou la ligne fatidique de la quarantaine. Alors il y avait ces petits frères et soeurs qu’on gardait du haut de nos 10 ou 12 ans, gâtés de leur statut d’enfant presque unique, de petit trésor du désir, le reste de la fratrie plusieurs années devant.
Le fait est qu’hormis mes Barbies à qui je faisais vivre des aventures dignes des meilleurs scénarios de Plus Belle la Vie – avec Action Man en guest, ma préférence allant déjà aux hommes bruns et musclés plutôt qu’à Ken gringalet-boys band – je n’ai jamais vraiment joué aux poupées, ni fait beaucoup de baby sitting, ni même eu de fascination pour les poupons en poussettes ou les petits enfants. Je me voyais pourtant devenir mère comme un ordre des choses, une nature qu’il me faudrait adopter, suivant la plupart des exemples féminins à ma disposition.
Il y a eu les premières amours. On parlait – à 15, 16, 17 ans – des prénoms, de l’âge d’enfanter, de mariage, et même de maison. À cette époque je voulais devenir architecte , j’avais imaginé et dessiné le plan d’une bâtisse chaleureuse et moderne, quatre chambres, dans laquelle nous emménagerions avec A. et nos enfants. Je voulais aussi un chien, et des poneys dans le jardin – tant qu’à rêver, pourquoi se limiter. Il y a eu Avril, pour une fille – c’était avant que la Lavigne ne fasse son entrée, et j’avoue avoir encore une petite tendresse pour ce prénom -, et plus tard Vincen pour un garçon. Sans T, à l’espagnole, d’après le prénom du père de mon amour de l’époque – pour conserver la tradition familiale qui lui avait valu d’être baptisé Edelmire, comme son grand père avant lui. Je me sentais heureuse d’hériter, pour mon fils imaginaire, de Vincen.
J’ai toujours eu du mal à décider des noms de garçon. Pas beaucoup mieux pour les filles.
20 ans. 25 ans. En approchant doucement de la trentaine j’ai fini par dépasser l’âge que je m’étais fixé, enfant, pour tomber enceinte. Étrangement, plus la perspective de faire des enfants se concrétisait, plus je perdais l’imagination pour les jolies choses.
Je ne me souviens pas d’avoir décidé de prénom avec E. Je voulais une fille en premier, lui un garçon, et on n’était pas d’accord sur la question de se marier avant ou après. Et puis je suis partie, laissant derrière moi toute perspective de suite logique – mariage, maison, bébé. Lui voulait être père avant ses 30 ans. C’est chose faite depuis le 6 juin dernier. Il a 32 ans. C’est un garçon. Ils se sont mariés avant.
Avec mon départ – 26 ans, âge où on ne change pas de vie, mais qu’est ce qui m’arrive, suis-je bien faite pour ces choses là – est venu le temps des remises en question. Le féminisme qui s’immisce comme tant d’évidences, de pensées logiques, répondant à tous ces questionnements d’avant – comment ai-je pu tant m’égarer dans une vie qui ne me convenait pas ? Suis-je faite pour être « en couple » ? Le rêve est devenu réalité, puis s’est transformé en cauchemar, est-ce la vie conjugale qui n’est pas faite pour moi ? Ai-je réellement envie de me marier, d’avoir des enfants, ou bien tout ceci ne serait que fruit de la construction sociale, dictas de la société, pur sexisme ? Quel est le fondement de cette idée que je ne peux pas être mère sans un père, moi la femme-enfant irresponsable, éternelle instable qui a besoin d’un homme comme amarre pour me sentir assez forte ? Comment envisager un projet à si long terme alors qu’on peut, du jour au lendemain, ne plus s’aimer du tout ?
Durant une couple d’années, je fuis. Un instant je me crois si forte que je me dis que je peux avoir un enfant toute seule, la procréation n’est contrainte à aucune obligation de couple après tout, je pourrais toujours dire « j’ai aimé ton père plus que tout ».
L’instant d’après je panique. Quelle folie. Moi, mère célibataire. Avoir des enfants est-il bien nécessaire ? Ne suis-je pas complète sans progéniture ? Je peux me concentrer sur ma carrière. Voyager. Baiser qui bon me semble.
Mais la vérité sort du plus profond de mes pensées, quand je me trouve déçue d’apprendre que ce nouvel amant-amour ne se voit pas père, ou que je m’imagine fugacement en mère-double avec cette fille aux yeux rieurs.
Je voudrais des enfants. Éventuellement. Si je rencontre « la bonne personne ». Pas comme un besoin égoïste, ni une manière de m’accomplir, ni une obligation sociale, ni un état à plein temps. Un projet de vie à deux, parce que j’ai fini par comprendre ce que signifie pour moi l’idée d’être parent : la transmission des valeurs. Laisser une trace de notre amour, même si je sais qu’un jour, peut être, celui-ci peut faner.
Il est là, dans ma vie. Il ne voulait pas d’enfants avant moi, ou plutôt, il ne s’était jamais posé la question. Les gars, dans cette société plus féministe, on leur demande pas d’y réfléchir au plus jeune âge. J’ai bousculé pas mal sa vie sans le vouloir – ce n’est pas moi qui ai abordé les sujets. Vivre ensemble. Se marier. Acheter un duplex. Avoir des enfants, deux, parce que tout seul c’est un peu triste, il trouve aussi, lui, enfant unique et solitaire. Et au milieu, le bordel auquel on ne veut surtout pas renoncer. Voyager. Découvrir. Explorer. S’ouvrir. En commençant par notre couple.
Il est de ceux qu’on ne peut s’empêcher de voir en père potentiel, et on s’amuse à imaginer l’effet combiné de nos gènes de blonds imberbes et du métissage invisible de nos origines qu’un océan sépare. Ils iront l’été en France, pour connaître d’où ils viennent, et mêler les accents, on se dit. Du côté paternel, j’ai touché le gros lot – il est écrit « grands parents merveilleux » sur le front de ma belle-famille. Plus qu’un père, plus qu’un mari, j’ai trouvé un partenaire de vie.
Mes peurs ont transité. Je n’ai plus la crainte de l’engagement, de l’enfermement, ni de la fin possible. Le hasard et les aléas, j’ai fini par réaliser qu’une bague au doigt n’a de signification que celle qu’on décide de lui donner. L’âge, j’y pense encore parfois. Au crépuscule de ma vingtaine, je ne me suis jamais sentie aussi jeune, et 34 et 36 ans font tout de suite plus de sens que je ne pouvais l’envisager il y a encore quelques temps. Je veux omettre l’idée que le temps passe et qu’il faut se presser. Je déconstruis mes craintes d’être une mauvaise mère. Ce sera le cas – qui peut se vanter du contraire ? Ces futures souches auront un papa pour la patience et le laisser-vivre, et j’imagine que j’apprendrais moi-aussi à laisser couler. Quand à l’amour – vu l’affection sans bornes que je porte à mes pensionnaires velues, je n’ai aucun doute sur le fait que je finirais par aimer ma progéniture malgré les nuits blanches.
Le moment n’est pas venu. On se dit, un an, ou deux, le temps de se stabiliser, alors que je me surprends à observer les bébés dans la rue, et m’enthousiasmer pour les grossesses et naissances des ami.e.s. Il reste une petite voix, au fond de mon ventre jamais fécondé, qui se demande timidement – et si.
Et si c’était plus compliqué. Et si ça prenait beaucoup plus de temps. Et si jamais nous étions incapables de procréer… ?
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Post écrit durant la lecture de l’essai Les Tranchées, de Fanny Britt, sur la maternité