Chroniques

tu dors-tu

fenetre

Tu dors ?

Distribué.

Ça marque en dessous de la bulle bleue.

Distribué, pas lu, pas de réponse.

Évidemment que tu dors. Ya que moi qui reste les yeux ouverts jusqu’à 3h du matin à tourner dans des draps en coton égyptien. Tu t’es effondré depuis longtemps, ou ton cell est en « ne pas déranger« , ou juste tu dors, et je t’envie pour ça. Je me lève dans 5 heures. Ya que moi pour pas m’endormir straight avec la journée que j’ai passée, avec celle qui m’attend demain.

Classique.

C’est pas ma faute si je vis souvent en mode hibou, pas foutue de couper décemment les ponts avec la journée qui se termine. J’suis née comme ça je crois, sorti la tête à 2h15 du matin, faut croire que j’étais prédestinée à vivre la nuit. En tous cas, depuis toute petite j’y arrive pas, à m’endormir, j’suis pas capable de débrancher mon cerveau, alors que toi le soir tu mets tout en off et pouf. Disparition.

Ça marche pas comme ça ici. Au moment de fermer les yeux mes pensées s’emballent, tout un tas de choses qui avaient jusque là pas eu le temps de se rendre dans ma tête, bloqués par 10.000 autres préoccupations. Je pense à ma job, à toi, à notre futur appart, à Dora. À mes projets, au courriel que je dois écrire à ma boss, à ce week end à New York, à ma famille, à l’été. Parfois ça s’emmêle et ça se met à créer des tas de scénarios plus ou moins plausibles, à refaire la disposition des murs de chez moi, à imaginer comment sortir le chat de l’appart si un incendie se déclarait. Parfois je panique un peu. Un joli bordel, tu vois.

Je suis dans un hôtel, encore une fois, ça faisait longtemps. Les voyages payés par la job, après Londres Rome ou Madrid, après Toronto et Ottawa, voici Québec, et cette chambre aux draps blancs qui ressemble à toutes les chambres de tous les hôtels de tous mes voyages de job. Je suis seule, je suis loin et il fait beaucoup trop froid alors je joue les princesses, j’appelle le room service pour commander un sandwiche et je fais ce que je fais jamais, je regarde la télé et je mange mon sandwiche sur le lit, adossée dans les 1000 oreillers. J’aime ça les lits d’hôtels où ya plein d’oreillers. Dans la salle de bains je découvre les serviettes bien pliées et les savons – ici c’est une gamme à l’huile d’argan, et ça sent bon. J’aime ça l’odeur du propre et de la buanderie, les miroirs sans traces et le papier toilette plié en coin, et la robe de chambre moelleuse, la charlotte pliée dans sa petite boite en carton, le téléphone à côté des toilettes – pour si on reste coincé en position caca. J’ai l’impression, le temps d’un séjour, de vivre la vie d’une autre. Ça m’amuse.

Pour un temps.

Il est l’heure, lumière éteinte, mélatonine pour le kick final. Je pense à tous ces hôtels où j’ai séjourné, les avions, les bus, les trains. Je regarde le thermomètre descendre lentement dehors, ça fait quoi, « ressenti -43° » ? Je pense aux événements bouleversants de cette journée, et l’ascenseur émotionnel mêlant l’excitation de ce nouveau boulot et tristesse face aux tweets qui ne se sont pas tus de la journée. Je pense que dans quelques heures, malgré le deuil, la vie va reprendre ses droits. Je ne crois pas qu’on se souviendra du 7 janvier comme du 11 septembre. On ajoutera juste un tiret de plus dans une liste déjà longue. Puis on oubliera doucement, peut-être, peut-être pas. N’empêche, quoiqu’il advienne, c’était beau, ce mouvement.

Tu dors ?

Je regarde les chiffres verts briller dans la lumière sombre de cette chambre anonyme. 3:14am. Je n’attends plus de réponse.

Moi, comme d’habitude, je ne dors pas…

 

{texte écrit le 7 janvier 2015}