Pendant longtemps, et jusqu’à récemment, j’ai cru que grandir, vieillir, devenir adulte, c’est acquérir des certitudes. J’ai cru qu’en avançant on finissait par savoir, que les doutes s’effaceraient au fur et à mesure, que je saurais comme des évidences, que je trouverais des réponses, que j’arrêterais, enfin, d’avoir peur.
Ces dernières années ont été les plus riches, les plus intenses, et sûrement les plus constructives de ma vie. Patiemment, méticuleusement, j’ai tout déconstruit pour tout réapprendre, j’ai cheminé, zig zagué, pris des claques immenses, défoncé des murs, tracé des routes où il n’en existait pas vraiment. Je suis devenu la pire, de ces personnes qui te disent que rien n’est impossible si tu y crois assez fort, qu’il suffit de se donner les moyens. Qu’on peut créer sa propre vie, inventer son univers si celui-ci n’est pas préexistant. Qu’il suffit parfois de pousser une porte invisible, de se donner le droit pour que ça existe, que les barrières qui nous entravent ne sont que celles qu’on s’autorise.
J’ai changé de continent. J’ai changé de métier. J’ai changé de vie. Et surtout j’ai changé, moi. J’ai touché le fond à plusieurs reprises, on m’a tendu la main parfois, la plupart du temps j’ai l’impression de m’être remontée toute seule, à la force des bras. Je me suis perdue, et je me suis retrouvée.
De ces années chaotiques, je ressors avec l’impression de me connaitre comme jamais. De savoir qui je suis, ce que je veux, où je veux m’en aller, ce qui me fait du bien. D’être emplie d’une énergie immense, d’une envie de vivre qui brille si fort, d’une foi en moi et en les autres que peu de choses sauraient arrêter.
Et pourtant. Je ne sais parfois pas qui je cherche à convertir.
Il y a toujours une fissure, sous l’apparente facilité d’exister. Il y a ces moments de vide qui me prennent, m’entraînent, me noient. Il y a ces doutes qui s’immiscent. Il y a ces pensées parasites que je ne cherche plus à éloigner.
L’été dernier j’ai perdu, à nouveau, un amour. Un amour que je croyais immense et sans faille, un amour que je croyais unique, infini, indestructible. Comme à chaque fois. Et puis un jour l’indestructible s’effondre, inexorablement, et je regarde amère disparaître tout ce qu’on a construit.
La même histoire, qui joue encore. Et encore. Et encore.
Alors, quelque part, je n’ai plus confiance. En ce que je ressens, en mon intuition, en mes sentiments. Je me suis trompée tant de fois, sur les gens, les situations. Rencontrer, découvrir, explorer, investir, s’engager, s’ouvrir, partager. La chute. Tomber de haut. Le déni, et puis renoncer. Accepter la fin. Effacer les traces. Pleurer les dommages collatéraux.
Parfois, retomber sur des mots, une photo, croiser une pensée vagabonde et se demander – où est passé ce temps ? À quel moment est-ce que le bonheur a laissé sa place à l’amertume, à la colère, à la haine ?
Je voudrais que quelqu’un me prenne par la main et m’emmène quelque part. Je voudrais retrouver mon innocence. J’aimerais arrêter d’avoir peur de me tromper. Retrouver cette facilité à me glisser dans la vie d’un autre sans penser aux conséquences. Être capable de me laisser aimer, à nouveau.
Il y a sur mon coeur une pellicule de cellophane.